Avant même d'être accusé de gangstérisme cette semaine, Gilles Vaillancourt a été identifié par la police comme le gestionnaire d'un «groupe organisé» qui distribuait des enveloppes d'argent à des politiciens provinciaux et des contrats en échange de redevances de 2%. C'est ce que La Presse a découvert en épluchant le dossier policier du projet Honorer qui a conduit à une série de perquisitions l'automne dernier puis à l'arrestation, jeudi, de l'ex-maire de Laval et de 36 autres personnes.

Le système de corruption et de collusion était tellement bien rodé à Laval qu'il existait même un registre du partage des soumissions, a appris La Presse.

Quant au comité exécutif, il marchait dans le stratagème en créant des «addenda» a posteriori lorsque les ingénieurs se trompaient au détriment des entrepreneurs.

Enfin, il «existait deux gangs de fonctionnaires à Laval, soit ceux qui étaient dans la gamique et les autres qui ne l'étaient pas».

C'est ce qu'on apprend dans un dossier de plusieurs centaines de pages soumis l'automne dernier par l'escouade Marteau au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dans le cadre du projet «Honorer», afin d'obtenir des mandats de perquisition et que La Presse a consultés.

À sa lecture, on ne peut que constater l'ampleur et la minutie du travail des enquêteurs de la SQ et le volume de la preuve déjà accumulée avant l'obtention des mandats de perquisition.

Leur enquête a été séparée en deux volets: «Remises d'enveloppes à des candidats aux élections provinciales» et «Système de redevance de 2% par les entrepreneurs». (voir autres textes)

Réglé au quart de tour

Bien que caviardés abondamment, en particulier parce qu'il s'agit «d'éléments percutants pouvant frapper l'imaginaire (sic), ces documents permettent d'en savoir plus sur le fonctionnement de l'«organisation criminelle» mise en place, selon les policiers. En particulier, le stratagème des redevances de 2% versées par les entreprises ayant obtenu des contrats à «Gilles Vaillancourt, ou à son entourage au profit de son parti, le parti Pro des Lavallois, étroitement lié à la collusion».

Un système de corruption «tentaculaire auquel il est difficile d'échapper au risque d'être laissé pour compte», affirme même l'une des personnes interrogées.

Un système qui permettait entre autres de générer du cash destiné aux candidats aux élections (voir autre texte).

Un système qui ne laissait aucune place à l'improvisation.

Un témoin a raconté que lorsqu'un appel d'offres avait été publié dans son secteur d'activité, il avait reçu la liste des entrepreneurs qui étaient venus chercher le cahier des charges à l'hôtel de ville. Qui la transmettait? Une personne a affirmé qu'il l'avait «reçue directement de René Mergl», de la firme Nepcon.

«Par la suite, des rencontres avec les entrepreneurs ont eu lieu dans divers restaurants pour discuter du projet». C'est l'entreprise du témoin qui a gagné le contrat suite à «l'entente» scellée ce jour-là. Le témoin a avoué aux policiers à qui et où il a versé la ristourne.

Un autre témoin a raconté aussi qu'à une époque récente, il semble y avoir eu trop de contrats ouverts à tous, ce qui a engendré de la «mésentente à l'intérieur du système. Les gens impliqués se sont entendus à nouveau pour 'repartir le système'«.

L'effet Marteau se serait aussi fait sentir en 2009. «Il n'y avait plus de monopole, les contrats ont été mis sur la glace», a confié un témoin. Mais la machine est repartie en «2010 et 2011 avec le programme des infrastructures fédérales».

Les enquêteurs de Marteau ont aussi rencontré un témoin qui a joué le rôle de collecteur. Il a expliqué que «cela a débuté tranquillement avec des entrepreneurs qui venaient lui porter de l'argent» et qu'il lui «est arrivé de laisser l'argent dans sa voiture jusqu'au lendemain avant de le déposer [caviardé]». «Il marquait le nom des entrepreneurs, le numéro de règlement et le montant qu'ils lui avaient donné».

Certains de ces faits se seraient produits dans les bureaux de la firme Tecsult entre 2003 et 2005, lit-on.

Des témoins passent à table

Les policiers ont aussi pu compter sur le témoignage de suspects «repentis» qui ont décidé d'avouer et de collaborer après avoir été interrogés. Selon nos sources, ils seraient de cinq à sept. Fait à noter, cinq noms sont cités dans les actes d'accusation déposés jeudi à la suite des arrestations comme ayant fait partie du complot, mais ne sont pas accusés. Il s'agit de Marc Gendron, Roger Desbois, Gaétan Turbide, Jean Roberge et Gilles Théberge.

On retrouve dans les documents obtenus par La Presse les déclarations de plusieurs suspects devenus témoins, mais leurs noms sont biffés. Ils ont reçu la promesse que leur déclaration ne sera pas utilisée contre eux sauf en cas de parjure.

Certains ont même remis des listes nominatives aux enquêteurs.

Les policiers savent donc qui collectait, quelle somme a été ramassée et à qui l'argent était apporté ensuite.

Au total, 37 personnes ont été arrêtées jeudi par l'UPAC au terme de cette enquête enclenchée il y a trois ans.

Gilles Vaillancourt, considéré comme le chef de l'organisation criminelle, l'ex-DG de Laval Claude Asselin et l'ex-directeur du génie Claude Deguise ont été accusés de gangstérisme, une première dans un dossier lié à la corruption et la collusion dans le monde municipal.

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Citations tirées du dossier policier

«Gilles Vaillancourt sait tout à Laval et ses hommes à lui, ses amis, ses partenaires d'affaires sont dans tout. Si on est à Laval, on voit tout. Le système a été bâti pour que la répartition des honoraires des firmes soit identique d'année en année».

«À l'occasion il pouvait y avoir des erreurs dans les estimés de l'ingénieur-conseil et, afin de remédier à la situation, le comité exécutif de la ville créait des addenda pour corriger le tout. À l'inverse lorsque l'estimé de l'ingénieur était trop élevé, personne ne se plaignait.»

«Selon [...], tous les contrats étaient arrangés à l'avance avec une remise de 2% à l'exception de ceux où il y avait désaccord entre les intervenants [...] Les entrepreneurs payaient toujours [...] dans des enveloppes pas nécessairement brunes.»

«Dans la foulée des difficultés financières [...], les entrepreneurs régulièrement impliqués dans les contrats à Laval ont été sollicités pour faire des dons pour la fondation [...] Par la suite, les entrepreneurs chargeaient des extras pour des travaux non effectués afin de récupérer leur mise.»

«Le système était simple. [...] venait lui porter une liste correspondant aux travaux accordés par la Ville de Laval et à effectuer. Cette liste est un document interne du service du génie. [...] cochait d'un «X» les travaux susceptibles de faire l'objet d'une collecte auprès des entrepreneurs.»

[...] = nom caviardé