Ces derniers jours, Chiheb Esseghaier vivait presque comme un sans-abri à Montréal, profitant du WiFi gratuit offert ici et là. Tel Fred, le fugitif traqué de Subway, le film de Luc Besson, le suspect que l'on dit lié à Al-Qaïda aurait passé beaucoup de temps dans le métro.

L'acte d'accusation le décrit d'ailleurs comme un «sans domicile fixe». La GRC a confirmé à La Presse que c'était réellement le cas. L'homme cherchait un toit pour se loger.

Ce diplômé en génie biochimique féru des biosenseurs faisait d'ailleurs pâle figure, hier matin, dans le box des accusés. Vêtu du même manteau d'hiver bleu défraîchi qu'il portait lors de son arrestation lundi, les traits tirés, la longue barbe hirsute et l'air un peu perdu, le Montréalais Chiheb Esseghaier a écouté attentivement le procureur de la Couronne du gouvernement fédéral, Me Richard Roy, égrener les cinq chefs d'inculpation déposés contre lui.

«Est-ce que je dois parler?», a alors demandé Chiheb Esseghaier juste avant d'être conduit hors de la salle.

L'homme qui a refusé les services d'un avocat en a alors profité pour clamer son innocence: «Les conclusions ont été faites à partir de faits et de paroles qui ne sont que des apparences, a-t-il souligné d'une voix posée. On ne peut pas faire de conclusions. On n'est pas dans une étape tardive [phrase presque inaudible]».

Le juge Pierre Labelle l'a interrompu pour lui répondre que le but de l'audience n'était pas de déterminer s'il était coupable ou non, mais seulement de s'assurer qu'il comprenait bien les faits qui lui étaient reprochés.

Aller-retour imprévu

Chiheb Esseghaier a eu le droit, hier, à un aller et retour express depuis Toronto pour cette comparution inattendue à Montréal devant le juge Pierre Labelle. La raison: les policiers de la GRC auraient agi un peu trop vite en l'expédiant à Toronto par avion privé lundi dans la foulée de son interpellation à Montréal.

Il a donc été rapatrié à Montréal pendant qu'un mandat d'arrêt était présenté pour signature à un juge en Ontario, puis reconduit à Toronto.

Les accusations déposées contre lui hier sont graves.

Les faits se seraient produits entre le 1er avril 2012 et le 14 février 2013, non seulement à Toronto, mais aussi à Montréal.

Il s'agit d'une accusation de complot pour commettre une interférence dans un système de transport en association avec un groupe terroriste, complot pour meurtres en association avec groupe terroriste, deux accusations de participation aux activités d'un groupe terroriste et une accusation d'avoir donné des instructions à une personne de commettre une activité en association avec un groupe terroriste.

Trois chefs d'accusation ont été déposés presque au même moment à Toronto contre son acolyte Raed Jaser. Son avocat, Me John Norris, a déclaré que son client était en état de choc, qu'il niait en bloc les allégations de complot terroriste  et qu'il allait se défendre vigoureusement.

Il a affirmé que Jaser était au Canada depuis 20 ans et qu'il était très bien intégré dans sa communauté.

Selon la GRC, Chiheb Esseghaier et Raed Jaser fomentaient depuis un an un complot visant une ligne ferroviaire de passagers au Canada, sans livrer plus de détails. Mais des informations qui ont filtré notamment depuis les États-Unis laissent entendre que la cible du duo était la ligne VIA Rail Toronto-New York, partagée avec la compagnie Amtrak. Le plan était de provoquer la chute des wagons dans la rivière Niagara.

Chez VIA Rail, on refuse de confirmer la chose. Mais on laisse entendre à La Presse que c'est la première fois qu'une ligne ferroviaire canadienne fait l'objet d'une telle menace. Une menace qui a été gardée secrète à l'interne.

«Notre service de sécurité et sûreté a été avisé très rapidement au début de l'enquête, a ajouté Jacques Gagnon, responsable des communications de VIA Rail. Mais seule une poignée de gens étaient au courant chez nous.»

Arrestation précipitée

Bizarrement, c'est à la Gare centrale de Montréal que Esseghaier a été interpellé vers 12h20 lundi, puis menotté. Un pur hasard, affirment les policiers. Attablé dans un fast food, il avait son ordinateur portable ouvert devant lui.

Il n'a opposé aucune résistance, selon un témoignage obtenu peu après par La Presse.

Selon CBC, c'est parce qu'un des deux suspects dont le nom n'est pas précisé était récemment devenu «imprévisible» que les forces de l'ordre ont décidé de les arrêter lundi.

La GRC croit que cette opération était élaborée avec le soutien actif d'une cellule d'Al-Qaïda en Iran, mais que ce pays ne serait pas impliqué officiellement.

L'Iran a d'ailleurs réagi rapidement en niant toute responsabilité.

L'une des questions toujours sans réponse est de savoir si les deux hommes faisaient partie d'une cellule dormante plus vaste activée depuis l'étranger à qui l'on aurait fourni une cible précise.

Chiheb Eisseiger, étudiant au doctorat à l'INRS à Varennes, avait affiché en guise d'illustration sur son profil LinkedIn la profession de foi musulmane sur fond noir, concept récupéré par nombre de mouvements djihadistes.

Selon son CV affiché en ligne, il a participé à plusieurs études scientifiques, en plus de prendre part à des conférences aux États-Unis et au Mexique.

- Avec la collaboration de Christiane Desjardins et La Presse Canadienne