De façon inédite, sinon historique, les rôles ont été inversés, hier, à la commission Chamberland. Non sans créer un malaise certain, des avocats ont pu cuisiner deux juges en fonction, en leur demandant si des mandats - de surveillance de journalistes par des policiers, par exemple - sont accordés trop facilement.

En décembre, l'état-major du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a dévoilé que 98,6 % des mandats qu'il avait présentés à des juges de paix magistrats avaient été acceptés au cours des trois dernières années. Me Danielle Côté, juge en chef adjointe à la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, a dit ne pas pouvoir confirmer cette statistique. Elle a néanmoins ajouté : « Ça ne m'étonnerait pas. »

Après tout, les policiers sont bien formés et leurs demandes sont généralement bien préparées, a dit la juge Côté. Au surplus, avait relevé un peu plus tôt le juge à la Cour du Québec Mario Tremblay, responsable des juges de paix magistrats, les policiers sont encouragés à demander des conseils juridiques avant d'aller de l'avant.

C'est donc dire que les demandes d'autorisation présentées par les policiers ne sont en quelque sorte que pure formalité ?, a demandé Me Christian Leblanc, avocat de la majorité des médias présents à la Commission.

« Les juges de paix exercent leur discrétion judiciaire », a répliqué sans appel la juge Côté.

Il a par ailleurs été établi que sur les 53 juges de paix magistrats nommés depuis 2005, seulement 8 avocats émanaient de la pratique privée. Ce sont donc en grande majorité d'ex-procureurs de la Couronne qui deviennent juges de paix magistrats. Lorsque l'avocat Leblanc lui a demandé si cela n'ouvrait pas la porte à une trop grande proximité entre les juges de paix magistrats et les policiers, la juge Côté a balayé cette possibilité d'un revers de main.

« Ce n'est pas parce qu'on a été procureur de la Couronne qu'on n'a pas le recul nécessaire », a répondu Me Danielle Côté, juge en chef adjointe à la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec

Elle a ajouté que cela s'appliquait aussi aux juges de paix magistrats qui auraient au préalable travaillé pour des contentieux de corps de police.

D'ailleurs, les juges Côté et Tremblay ont passé une très grande partie de leur témoignage à parler du professionnalisme et des hautes qualifications des juges de paix magistrats, dont l'image a été mise à rude épreuve quand il a été révélé qu'ils avaient avalisé l'espionnage de journalistes de La Presse et de Radio-Canada, notamment.

Les juges de paix magistrats sont extrêmement bien formés, triés sur le volet et traitent de questions aussi importantes que d'autres juges, a fait valoir la juge Côté.

« CONTRER LES CRITIQUES »

L'idée, pour les juges Côté et Tremblay, c'était manifestement de « contrer plusieurs des critiques véhiculées à l'égard des juges de paix magistrats au cours des derniers mois », a noté Nicole Gibeault, juge à la retraite de la Cour du Québec venue assister à l'audience en tant que spectatrice.

Si certaines questions ont été difficiles et si le fait d'être questionnés sur la rigueur de leurs confrères « a créé un certain malaise par moment », les juges Tremblay et Côté ont pu faire une « présentation rigoureuse et factuelle du travail des juges de paix magistrats, en brossant un portrait de la façon dont les choses doivent être faites », a poursuivi Mme Gibeault.

Ils ont donc exposé la théorie et tout ce qui est fait pour que ces juges soient au sommet de leur art. Cela ne les met certes pas plus que quiconque à l'abri de l'erreur, a reconnu la juge Côté, tout en insistant néanmoins sur le fait qu'au bout du compte, les décisions étaient à la discrétion du juge de paix magistrat. Même quand toutes les conditions sont réunies, que les critères objectifs sont remplis, « un juge peut décider de refuser une demande d'autorisation », a précisé la juge Côté.

DES IDÉES À ÉTUDIER

Le juge Jacques Chamberland, président de la Commission, a pour sa part posé plusieurs questions à ses collègues sur la pertinence de mettre en place un registre des demandes de mandats, autorisées ou pas, présentées par des policiers. Il leur a aussi demandé s'il ne faudrait pas réfléchir à la possibilité qu'un ami de la cour - un procureur - représente les intérêts des médias lorsque des mandats de surveillance de journalistes sont demandés (sans que les médias soient informés de la démarche, évidemment).

À l'heure actuelle, tout cela se joue bien au-dessus des têtes des médias, qui, s'ils sont visés par des mandats, ne peuvent aucunement présenter leur argumentaire.

La juge Côté a répondu que ces idées, bien qu'elles lui apparaissent difficiles à mettre en application étant donné l'importance de la confidentialité de ces dossiers, méritent quand même d'être étudiées.

Image vidéo tirée de la Commission sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques

Mario Tremblay, juge à la Cour du Québec, responsable des juges de paix magistrats