Le coup d'envoi de la commission Chamberland chargée d'enquêter sur la protection des sources journalistiques est donné ce matin. Big Brother est-il parmi nous ? Devrait-on mettre en place plus de garde-fous pour éviter que des mandats de surveillance soient accordés trop facilement, aussi bien contre des journalistes que contre tout citoyen ? Petit guide de ce qu'il faut savoir en lever de rideau.

LES ORIGINES DE LA COMMISSION

Des juges de paix ont autorisé des policiers à obtenir la liste de tous les appels et textos entrants et sortants (et l'identité des interlocuteurs) de journalistes de La Presse, de Radio-Canada et du Journal de Montréal pendant une certaine période. Une autre juge de paix a aussi avalisé un mandat de localisation pour que les policiers puissent suivre les déplacements de Patrick Lagacé, chroniqueur à La Presse. Un juge de la Cour du Québec a par ailleurs permis aux policiers d'écouter le contenu des échanges entre Patrick Lagacé et ses interlocuteurs. Les procédures suivies, d'une part, par les juges de paix sans pleine juridiction (qui peuvent permettre l'obtention d'une liste de numéros de téléphone ou de textos) et, d'autre part, par les juges (les seuls à pouvoir autoriser l'écoute du contenu des conversations téléphoniques elles-mêmes) seront étudiées, tout comme le travail policier.

LES LIMITES

À la suite d'un débat judiciaire impliquant Radio-Canada, La Presse et la commission Chamberland, les mandats demandés par la Sûreté du Québec ont été libérés. On pourrait donc avoir un meilleur éclairage sur les motifs qui ont sous-tendu certaines demandes des policiers. Cependant, comme l'explique Suzanne Coupal, juge à la retraite, le rôle de la commission n'est aucunement de déterminer si les juges de paix ou les juges tout court ont agi correctement en autorisant des mandats spécifiques contre les journalistes de La Presse, de Radio-Canada et du Journal de Montréal. Son rôle, « c'est de voir si les balises qui sont en place pour obtenir des mandats de surveillance sont suffisantes ». L'un des gros problèmes, c'est que tout ce qui relève de l'interception de conversations privées relève du Code criminel, et donc du gouvernement fédéral, souligne Me Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. Le pouvoir de la commission et du gouvernement du Québec est donc très limité.

LE TYPE DE RECOMMANDATIONS QUI POURRAIENT ÊTRE FAITES

La commission pourrait néanmoins, par exemple, recommander des modifications au Code de procédure pénale du Québec et au Code criminel canadien. Elle pourrait, par exemple, dire qu'une précaution supplémentaire est nécessaire et qu'un procureur de la Couronne devrait nécessairement être présent dès lors que des policiers demandent un mandat de perquisition pour obtenir la liste de numéros de téléphone ou d'adresses IP d'interlocuteurs de journalistes ou de tout citoyen.

DES JUGES ENTENDUS

Pour Me Trudel, il est exceptionnel que des juges participent à une telle commission et que l'on discute aussi publiquement de leur travail. Dès cette semaine, par exemple, seront entendus en audience Danielle Côté, juge en chef adjointe à la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, et Mario Tremblay, juge à la Cour du Québec. Les juges qui ont autorisé divers mandats de surveillance contre des journalistes ne seront cependant pas entendus, et les juges présents seront surtout là pour expliquer la nature de leur travail.

POURQUOI CES QUESTIONS SONT-ELLES IMPORTANTES ?

Pour Me Trudel, la commission Chamberland touchera aux fondements mêmes de la démocratie et de la liberté de la presse. Quand des policiers se présentent devant un juge pour obtenir la surveillance de journalistes, « le rôle du juge est de jouer à l'avocat du diable, de s'assurer que les informations recherchées par les policiers ne peuvent absolument pas être obtenues autrement », des précautions très importantes ayant été réclamées par la Cour suprême dès lors qu'il s'agit d'espionner des journalistes ou de perquisitionner du matériel journalistique. « Il reste que des juges peuvent avoir plus de sympathie pour des policiers que pour des personnes surveillées », ajoute Me Trudel. La juge à la retraite Suzanne Coupal insiste cependant : le Code criminel est très strict sur l'écoute électronique. Avec tout ce que permet la technologie aujourd'hui, reste à voir si les policiers s'adressent toujours aux tribunaux pour surveiller quelqu'un ou s'ils donnent parfois dans l'espionnage sans mandat. Si c'était le cas, répond l'ex-juge Coupal, « ce serait illégal et ça ferait un film ».

À SUIVRE CETTE SEMAINE

Les deux premières semaines des audiences de la Commission d'enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques seront consacrées à l'environnement dans lequel les journalistes, les policiers et les juges travaillent au quotidien, ainsi qu'à la protection de la vie privée, aux adresses IP et aux métadonnées.

Les audiences s'ouvrent aujourd'hui avec les conférences de Lise Bissonnette - ancienne directrice au Devoir et PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec - et de Jean-Claude Hébert, avocat criminaliste. Après quoi viendront les témoignages de Claude Robillard, ex-secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), d'Éric Trottier, éditeur adjoint et vice-président de La Presse, de Michel Cormier, directeur général de l'information de Radio-Canada, et de Brian Myles, directeur du quotidien Le Devoir.

Demain, des représentants du corps policier et des juristes prendront la parole. Les audiences sont ouvertes au public et se tiendront du lundi au jeudi de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 16 h 30. Elles sont diffusées en direct sur le site de la Commission.

Les audiences se poursuivront en mai et en juin. C'est lors de cette deuxième phase qu'il sera question des sources journalistiques confidentielles et des enquêtes policières, principalement concernant les événements rapportés l'automne dernier.

- Audrey Ruel-Manseau, La Presse