Le gouvernement Couillard force le retour au travail de ses 1100 juristes, mais sa loi spéciale prévoit une nouvelle ronde de négociations et la nomination éventuelle d'un médiateur. À défaut d'une entente, les avocats et notaires de l'État se verraient imposer des hausses salariales inférieures à la dernière offre du gouvernement, et même à l'ensemble de la fonction publique.

Québec a déposé sa loi spéciale vers 18h lundi. Elle demande aux juristes de cesser la grève et de reprendre le travail à compter de mercredi matin. Des amendes sont prévues si les juristes n'obtempèrent pas.

La loi spéciale ne décrète toutefois pas d'emblée les conditions de travail des juristes. Le gouvernement et le syndicat « doivent (...) poursuivre avec diligence et bonne foi, pendant une période maximale de 45 jours, la négociation en vue de convenir d'une entente », stipule l'article 20. À la demande conjointe des parties, le ministre du Travail peut prolonger les pourparlers d'une durée n'excédant pas 15 jours. Le gouvernement et le syndicat peuvent faire appel à un conciliateur en cours de route.

Au terme du délai, s'il n'y a toujours pas d'entente, « l'association et l'employeur s'entendent sur le choix d'un médiateur que le ministre du Travail nomme ». S'il y a désaccord, ce ministre désigne lui-même ce médiateur, qui doit bien entendu être indépendant.

Selon la loi spéciale, le processus de médiation « porte sur les conditions de travail des salariés. Toutefois, la modification, directement ou indirectement, du régime de négociation applicable aux salariés est réputée ne pas constituer une telle condition de travail ». Bref, la médiation ne pourra porter sur la principale revendication des juristes, c'est-à-dire un changement au régime de négociations. Ils souhaitent la création d'un comité indépendant visant à déterminer leurs conditions de travail, comme c'est le cas pour les procureurs de la Couronne.

Le médiateur pourrait toutefois faire des « propositions de nature exploratoire et confidentielle » en vue de « favoriser le règlement d'un différent sur une ou plusieurs des conditions de travail ».

Toujours selon la loi spéciale, le médiateur doit tenter d'amener les parties à s'entendre dans un délai de 30 jours. Il peut y avoir là encore une prolongation pouvant aller jusqu'à 15 jours.

À défaut d'un accord à la suite de la médiation, les conditions de travail seraient imposées aux juristes. Or les conditions prévues à la loi spéciale sont inférieures à l'offre finale et globale présentée par M. Moreau. La hausse de rémunération s'élève à 7,05% en cinq ans selon l'annexe de la loi spéciale. La dernière offre du gouvernement atteignait plutôt 9,15%. Il manque un rehaussement d'échelle de 2,1% en 2019-2020.

Deux heures avant le dépôt de la loi spéciale, les négociateurs du gouvernement amorçaient une rencontre de la dernière chance avec le syndicat. Mais « l'espace de négociation » est bien étroit, selon le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau. Avant le dépôt de la loi, il se disait ouvert à des « ajustements » mais « à la marge ». « Il n'est pas question de majorer l'offre de rémunération globale », de 9,15% en cinq ans. Il avait alors refusé de dire si les conditions prévues à la loi spéciale allaient être égales ou supérieurs à sa dernière offre.

Alors que sa loi spéciale prévoit une médiation, il rejetait la nomination d'un médiateur spécial comme le demandait LANEQ. Le Barreau du Québec et la Chambre des notaires recommandaient cette mesure et condamnaient le recours à une loi spéciale. M. Moreau plaidait que six séances de médiation avaient déjà eu lieu l'été dernier, sans succès.

Les députés, qui devaient faire relâche parlementaire pour deux semaines, sont à l'Assemblée nationale pour débattre de la loi spéciale jusqu'à mardi selon l'horaire prévu.

Les débats sur le projet de loi se font sous le bâillon, c'est-à-dire en vertu d'une procédure exceptionnelle qui écourte leur durée normale à l'Assemblée nationale. Il s'agit du cinquième bâillon du gouvernement Couillard, mais du premier en ce qui concerne des conditions de travail. Les quatre autres touchaient des projets de loi : sur le discours budgétaire de 2015, la réorganisation du réseau de la santé, Uber et les hydrocarbures. 

LANEQ a déjà signifié son intention de contester cette pièce législative devant les tribunaux si elle est adoptée. Ses membres sont en grève depuis le 26 octobre. C'est le plus long débrayage dans le secteur public de l'histoire du Canada.