Un juge de Québec est en voie d'être destitué pour avoir insisté trop fortement sur la possibilité d'une négociation entre deux voisins opposés par une banale chicane de clôture.

Dans une décision rarissime, le Conseil de la magistrature vient de recommander à la ministre de la Justice d'entamer la destitution de Peter Bradley. Il n'a pas entendu un court procès aux petites créances en janvier 2016 pour une mésentente de 472 $ après que les deux parties eurent refusé de négocier. Le litige reposait sur la réparation d'une clôture endommagée par la neige.

« Après s'être fait dire deux fois plutôt qu'une que les parties veulent procéder, continuer à privilégier la conciliation démontre [...] qu'il n'a pas l'intention d'entendre la cause », déplore le Conseil de discipline des juges dans sa décision. Le juge Bradley a effectivement reporté la cause et s'est dessaisi du dossier.

Le Conseil soulève aussi « le ton cassant » du juge Bradley et son « attitude intransigeante [qui] déconsidère l'administration de la justice » : il s'était fâché, lâchant « vous allez apprendre à vous taire », après que l'une des parties a prononcé un sacre en salle d'audience.

« Le comité a l'intime conviction que le juge visé ne peut d'aucune façon continuer à exercer ses fonctions et que le principe d'inamovibilité des juges ne s'applique plus à lui », a estimé le Conseil de la magistrature. « Le juge doit tenter de concilier les parties si les circonstances s'y prêtent, mais cela ne doit pas être fait au détriment des parties qui veulent être entendues » sans « discuter entre elles, ni participer à une conciliation ».

La résolution des conflits par la négociation « n'a pas aboli la tenue des procès », précise la décision.

Le juge Bradley, qui siège à la Cour du Québec, avait déjà été blâmé en 2014 pour un incident d'une similitude « frappante ».

« SANCTION CAPITALE »

Si les cinq membres du comité se sont entendus sur le fait que le juge Bradley avait violé son code de déontologie, ils étaient divisés sur la sanction à lui imposer : trois ont voté pour la destitution, alors que deux autres préféraient une réprimande.

Au chapitre des facteurs aggravants pour les tenants de la « sanction ultime » : les explications données par le juge devant le Conseil de la magistrature montrent qu'il demeure convaincu de son rôle de conciliateur. Additionnés à la récidive, ils montrent que le magistrat n'a pas l'intention de se corriger.

Par contre, priver le juge de son maillet « ne constitue pas une sanction équitable, juste et proportionnelle », a écrit le juge Martin Hébert, dissident. « Je ne peux me convaincre que pour une deuxième récidive, il faille proposer la sanction capitale », a estimé à son soutien le juge Pierre E. Audet.