Une quarantaine de policiers de Val-d'Or ont intenté une poursuite contre Radio-Canada, hier, un an après la diffusion d'un reportage d'Enquête sur des allégations d'abus à l'égard de femmes autochtones. Ils réclament 2,3 millions au diffuseur public, estimant que leur réputation a été entachée.

Selon le recours institué par 41 agents de la Sûreté du Québec, le reportage était « biaisé, trompeur » et son contenu était « inexact, incomplet et mensonger ». Sa diffusion a envenimé les rapports avec la communauté autochtone de Val-d'Or, si bien que les policiers doivent désormais composer avec un milieu de travail « néfaste et hostile ».

L'Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ), qui finance le recours, estime le reportage du 22 octobre 2015 a eu un impact dramatique sur des agents qui n'avaient rien à voir avec les gestes allégués.

« On a pris des jeunes policiers et on les a désillusionnés », a dénoncé Pierre Veilleux, président de l'APPQ. 

« On a brisé, on a ruiné des carrières de jeunes policiers qui étaient dévoués à la cause, des jeunes professionnels, en une seule émission qui visait à obtenir de bonnes cotes d'écoute. », estime Pierre Veilleux.

Le reportage donnait la parole à plusieurs femmes autochtones qui disaient avoir été victimes d'abus, voire de violence physique et sexuelle, de la part de policiers à Val-d'Or.

La poursuite accuse Radio-Canada d'avoir présenté ces témoignages comme la preuve d'un « phénomène généralisé et récurrent ». Elle remet en cause les motifs des témoins, ainsi que la véracité de leurs propos.

Les plaignants donnent en exemple une femme citée dans le reportage qui a déclaré que sept agents l'ont emmenée dans un chemin isolé pour lui demander qu'elle leur fasse une fellation. Cette plaignante traîne un « lourd historique judiciaire », fait valoir la poursuite. Elle pouvait donc « avoir un intérêt personnel à salir la réputation des policiers ».

La requête reproche à la journaliste Josée Dupuis de ne pas avoir corroboré ses affirmations « par d'autres sources fiables ou des éléments factuels ».

Même reproche pour un témoignage qui lie la disparition de Cindy Ruperthouse et ses accrochages fréquents avec les policiers. Cette allégation « malveillante, tendancieuse et corroborée d'aucun élément factuel » a été présentée « sans nuance » dans le reportage, selon la requête.

« Inattaquable »

Dans un communiqué, Radio-Canada a rejeté en bloc les prétentions des policiers et qualifié son reportage d'« inattaquable ». Le diffuseur public souligne que la SQ n'a jamais officiellement nié les allégations contenues dans son reportage.

Radio-Canada révèle par ailleurs que les plaignants ont mandaté un détective privé pour rencontrer certaines femmes qui ont témoigné dans le reportage en leur disant qu'il enquêtait sur Mme Dupuis. Cela pouvait « laisser sous-entendre qu'il menait une enquête policière ou criminelle sur notre journaliste ».

« "Abus de la SQ : Les femmes brisent le silence" est un reportage dont l'intérêt public a été largement confirmé par toutes les mesures qui ont été prises à la suite de la diffusion. », peut-on lire dans le communiqué diffusé hier soir par Radio-Canada.

« [Il s'agit d'un] reportage préparé en tout point selon les règles de l'art, dont la réalisation et la diffusion se situent au coeur même du mandat de Radio-Canada, qui en fera la démonstration en Cour. »

La diffusion du reportage a forcé le gouvernement Couillard à confier l'enquête au Service de police de la Ville de Montréal.

Huit policiers visés par des allégations ont été suspendus et le sont toujours. Deux agents auraient été blanchis de tout soupçon, six font toujours l'objet d'une enquête et d'un retrait administratif, selon un communiqué diffusé hier par les policiers du poste de la SQ de Val-d'Or. Ce document soutient qu'aucun des policiers retirés de leurs fonctions n'est soupçonné de crimes sexuels.

- Avec la collaboration de Gabrielle Duchaine