Trois sikhs coiffés de turbans, qui estimaient être victimes de discrimination en raison de l'obligation de porter un casque de sécurité au port de Montréal, viennent de perdre leur bataille devant la Cour supérieure. Le juge André Prévost a donné son approbation aux règles qui prévalent sur les quais, jugeant que la sécurité des travailleurs devait ici supplanter leur liberté de religion. Julius Grey, qui défendait les travailleurs, évoque déjà un appel.

Qu'a décidé le juge Prévost ?

Dans une décision de 57 pages, datée d'hier, le magistrat a d'abord indiqué que le fait d'appliquer aux sikhs l'obligation de porter un casque viole leur liberté de religion prévue par la Charte canadienne des droits et constitue de la discrimination. Contrairement à leurs collègues chrétiens, musulmans ou juifs, « il leur est personnellement impossible de respecter l'obligation de porter le casque protecteur sans contrevenir à leurs croyances religieuses », reconnaît la décision. 

Toutefois, cette violation est permise « en regard du bien-être général et de la sécurité des citoyens du Québec, vu les risques importants de blessures à la tête existant pour les camionneurs » circulant au port, a écrit le juge Prévost. En conséquence, il l'a approuvée.

Quelle situation a mené au conflit ?

Trois camionneurs de confession sikhe contestaient les règles de sécurité des entreprises portuaires qui gèrent les conteneurs destinés à prendre la mer. Les routiers se rendaient de temps à autre au port pour livrer de la marchandise. En 2005, à la suite d'un accident de travail, le port du casque est devenu obligatoire sur les quais. Les travailleurs sikhs voulaient être exemptés du port du casque. Selon eux, « aucune étude ne démontre un risque de blessure à la tête » pour les travailleurs dans leur situation.

Qu'en est-il des accommodements raisonnables ?

La décision d'hier rapporte qu'un accommodement raisonnable avait été mis en place entre 2005 et 2008 : les camionneurs sikhs demeuraient en tout temps dans l'habitacle de leur camion - échappant ainsi à l'obligation de porter le casque - et des employés venaient à leur rencontre. Mais l'accommodement fâchait à la fois les camionneurs et leurs clients. 

« Au lieu de nous servir comme les autres camionneurs, on nous fait attendre pendant des heures sur certains terminaux. Et ça, c'est si on accepte de nous servir. C'est de la discrimination. On nous traite comme des citoyens de deuxième classe », a expliqué à l'époque Harvirender Singh Clair à La Presse. M. Singh Clair était l'un des demandeurs dans la cause. Du côté des entreprises, on évoquait sa « non-viabilité tant du point de vue organisationnel qu'économique », rapporte la décision de justice.

N'aurait-il pas été possible de porter le casque sur le turban ?

Les trois travailleurs plaidaient que leurs croyances religieuses les en empêchaient, « qu'il y ait ou non un risque de blessure à la tête ».

Ils ont fait entendre un expert de la religion sikhe qui a témoigné qu'« il est clair pour lui qu'un sikh ne peut retirer son turban pour placer un casque protecteur sur sa tête ». Mais qu'en est-il de la possibilité de superposer le casque au turban ? « Généralement », un sikh ne porte rien sur son turban, a répondu l'expert, qui a précisé « qu'il s'agit néanmoins d'un choix personnel et que personne ne sera exclu de la religion sikhe pour avoir porté un casque protecteur sur son turban ». Une photo de l'actuel ministre de la Défense du Canada, le sikh Harjit Sajjan, coiffé d'un casque militaire sur son turban alors qu'il était en mission en Afghanistan, a notamment été déposée en cour.

Mais peu importe. Si les trois travailleurs ont une « croyance sincère » en cette règle, elle est englobée dans leur liberté de religion, a expliqué le juge Prévost.

Est-ce la fin de l'histoire ?

Il se pourrait bien que non. Joint hier après-midi par La Presse, l'avocat des trois demandeurs, Julius Grey, évoquait déjà un appel. « À mon avis, c'est un appel assez simple, parce qu'il [le juge] a décidé en notre faveur sur l'existence d'une discrimination, [...] il a décidé tout simplement que c'était [la discrimination] justifiable, et là, c'est un débat qu'il a cerné et qui probablement se fera », a-t-il dit. Me Grey précise qu'il n'a pas encore obtenu de mandat à cet effet de ses clients. Mais « c'est un jugement qui se prête à un appel bien cerné », a-t-il ajouté.