La Cour supérieure de l'Ontario a commencé mardi à entendre une action collective intentée contre le gouvernement canadien par des Autochtones dans ce qu'on appelle aujourd'hui «la rafle des années 1960».

De décembre 1965 à décembre 1984, jusqu'à 16 000 enfants autochtones en Ontario ont été enlevés à leur famille pour être confiés à des familles allochtones, en vertu d'une entente conclue entre Ottawa et les services sociaux ontariens.

Dans l'action collective de 1,3 milliard de dollars amorcée en Ontario en février 2009, les plaignants soutiennent que le Canada avait le devoir de protéger le patrimoine culturel de ces enfants. Ils réclament une compensation de 85 000 $ par personne touchée pour souffrance psychologique et spirituelle.

Leur avocat, Jeffery Wilson, estime que l'action collective est unique en Occident, car le tribunal devra déterminer «si un gouvernement a le devoir de prendre des mesures afin de protéger et de préserver l'identité culturelle des Autochtones».

Au premier jour des audiences, mardi, en Cour supérieure à Toronto, Me Wilson a présenté une requête pour jugement sommaire, en espérant que le juge se prononcera au sujet de l'action collective sur la base des preuves déposées jusqu'ici pour aller de l'avant avec le recours.

Tel qu'il avait été convenu auparavant entre les parties, le juge Edward Belobaba a ajourné l'audience jusqu'au 1er décembre, moment où le gouvernement fédéral présentera sa plaidoirie à moins que les parties décident d'ici là de négocier une entente à l'amiable. La semaine dernière, la ministre fédérale des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, avait en effet indiqué qu'elle aimerait régler cette affaire autour d'une table plutôt qu'au palais de justice.

Me Wilson a notamment plaidé, mardi, que les motifs réels de la «rafle», menée sans aucune consultation avec les Autochtones, demeurent obscurs. Mais il a suggéré que cette «abomination» pouvait faire partie du plan plus vaste du gouvernement fédéral pour «extirper le sauvage de ces enfants».

En dérobant ainsi leur identité, on a privé ces enfants des Premières Nations de toute l'expérience culturelle et linguistique que les autres petits Canadiens prennent pour acquise, a fait valoir, en substance, Me Wilson. Les préjudices sont «profonds et permanents», a-t-il affirmé, même si cette «calamité morale» a eu lieu il y a plusieurs années.

Ottawa a tenté à plusieurs reprises de faire rejeter l'action collective, soutenant qu'il s'agissait d'une procédure futile. Le gouvernement fédéral plaidait notamment qu'il avait agi dans l'intérêt des enfants en vertu des normes sociales en vigueur à l'époque.

Mardi matin, des dizaines d'Autochtones provenant d'un peu partout en Ontario sont venus à Toronto manifester leur appui à la cause. Ils ont affirmé qu'Ottawa avait perpétré un «génocide culturel» en «volant» ainsi des enfants pour les assimiler.

La représentante de l'action collective, Marcia Brown Martel, de la Première Nation Temagami, près de Kirkland Lake, a elle-même été enlevée, enfant, par les services sociaux puis adoptée par une famille allochtone. «C'est tellement injuste et offensant, en tant qu'êtres humains, de se faire enlever nos enfants», a-t-elle déclaré, mardi.

«Les traités ne vous autorisent pas à prendre nos enfants», a lancé de son côté le chef régional de l'Ontario, Isadore Day.

Le député néo-démocrate ontarien Charlie Angus a aussi pressé le gouvernement libéral de Justin Trudeau à respecter son engagement d'établir de meilleures relations avec les Autochtones, et à se placer «du bon côté de l'histoire» dans cette cause.