Le gouvernement fédéral pourrait s'exposer à une nouvelle saga judiciaire alors qu'il s'apprête à imposer des emballages complètement «sans marques» pour les produits du tabac.

L'industrie enrage déjà contre cette «banalisation des emballages», qui prévoit notamment l'interdiction des couleurs, des logos et des illustrations sur les paquets de cigarettes.

Le porte-parole d'Imperial Tobacco, Éric Gagnon, a indiqué que le gouvernement prêtait une fois de plus le flanc à des poursuites judiciaires.

«Notre industrie croit que, comme toutes les autres, elle peut apposer ses marques sur des produits que des adultes peuvent acheter légalement», a plaidé lundi M. Gagnon. «Nous verrons ce que le gouvernement proposera, mais nous sommes prêts à nous battre contre toute réglementation excessive et inefficace.»

Cette menace de l'industrie ne surprend nullement le militant antitabac et avocat Rob Cunningham, analyste principal en matière de politiques à la Société canadienne du cancer. Il estime que l'industrie perdra son pari si elle décide de poursuivre le gouvernement, soulignant les précédents dans des pays comme l'Australie, où le plus haut tribunal avait débouté les compagnies de tabac.

M. Gagnon rétorque que les lois divergent d'un pays à l'autre, et il plaide pour le respect de la Charte des droits et libertés de la personne, qui garantit «la liberté d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication».

Dans un arrêt rendu en 2007, la Cour suprême du Canada avait effectivement statué que le règlement fédéral obligeant les cigarettiers à consacrer 50 pour cent de leurs emballages à des mises en garde sur la santé violait la Charte. Mais la cour estimait aussi que cette violation était justifiée «dans le cadre d'une société libre et démocratique», comme le prévoit l'article premier de la Charte.

«L'objectif du législateur, qui consiste notamment à rappeler aux acheteurs potentiels les dangers que le produit présente pour la santé, est urgent et réel», écrivait le plus haut tribunal du pays il y a neuf ans. «Les effets bénéfiques des mises en garde de plus grande dimension sont manifestes, alors que les effets négatifs sur l'intérêt que les fabricants ont à s'exprimer de manière créative sur l'emballage de leurs produits sont négligeables.»

Le gouvernement fédéral affiche d'ailleurs un excellent bilan au chapitre des batailles judiciaires contre l'industrie du tabac, rappelle Me Cunningham, de la Société canadienne du cancer.

Un comité des Communes avait recommandé il y a 22 ans d'imposer les «emballages banalisés» mais l'industrie doute toujours de l'efficacité d'une telle mesure sur la santé publique. Par contre, rappelle Me Cunningham, elle est parfaitement consciente que cette initiative, aussi recommandée par l'Organisation mondiale de la santé, pourrait nuire à son chiffre d'affaires.

M. Cunningham soutient qu'en plus de l'Australie, cette solution a aussi été adoptée en France, au Royaume-Uni et en Irlande, et qu'elle est envisagée en Norvège, en Suède et en Finlande, en Hongrie, en Slovénie, en Nouvelle-Zélande, à Singapour, en Belgique et en Afrique du Sud.

Cette initiative était d'ailleurs inscrite dans la lettre de mandat du premier ministre Justin Trudeau à la ministre de la Santé, Jane Philpott, en novembre dernier. Le gouvernement annonçait plus tard, en mars, qu'il commande une analyse coûts-bénéfices d'une telle mesure.

Santé Canada a précisé que l'objectif d'imposer les paquets neutres était de protéger les jeunes et les autres Canadiens contre l'incitation à consommer des produits du tabac. La politique ne vise pas à violer les droits de l'industrie à enregistrer et protéger leurs marques, a ajouté le ministère.