Le gouvernement Couillard fera appel d'une décision qui suspend l'entrée en vigueur de la loi autorisant l'aide médicale à mourir, prévue dans dix jours.

Les médecins québécois ne pourront commencer à aider certains de leurs patients à mourir dans neuf jours, a décidé mardi un tribunal dans une décision que Québec conteste vivement.

Le gouvernement Couillard promet de faire appel et dit garder espoir de maintenir son échéancier serré.

Dans son jugement publié en milieu de journée, la Cour supérieure a mis un frein à l'application de la loi québécoise parce qu'elle entre en contradiction avec le Code criminel canadien, qui interdit toute assistance au suicide.

«Force est de constater une incompatibilité directe et flagrante», a écrit le juge Michel Pinsonnault, qui ajoute que «nier cette incompatibilité flagrante, c'est nier l'évidence même». «Il y a lieu de donner préséance aux dispositions du Code criminel», a décidé le tribunal.

En cas de collision frontale dans un champ de compétence partagé, les lois fédérales ont toujours préséance sur celles des provinces.

La justice s'est prononcée parce que des militants anti-euthanasie ont demandé une injonction pour bloquer l'aide médicale à mourir. Le juge Pinsonnault ne leur a pas accordé d'injonction, mais il a utilisé un autre chemin juridique pour suspendre l'application de la loi.

«La loi québécoise est valide»

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a confirmé peu après la publication du jugement qu'elle tentera de faire casser la décision de la Cour supérieure.

«Pour nous, il est clair que la loi québécoise est valide; la loi québécoise encadre de façon très claire les soins en fin de vie qui seront offerts aux patients québécois, incluant l'aide médicale à mourir», a affirmé Mme Vallée.

L'Assemblée nationale a adopté en juin 2014 la Loi concernant les soins en fin de vie, qui encadre l'aide médicale à mourir pour les patients qui désirent qu'on mette fin à leurs souffrances. La loi devait entrer en vigueur le 10 décembre.

Québec avait affirmé que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne porterait pas d'accusations contre les médecins qui appliqueraient la loi québécoise.

Or, a tranché le juge Michel A. Pinsonnault dans sa décision, ces assurances «peuvent être attirantes, mais elles ne constituent pas une solution acceptable au conflit entre les lois fédérales et les lois provinciales».

Ottawa contre Québec

En février, la Cour suprême a invalidé ces dispositions du Code criminel et a donné un an au gouvernement fédéral pour modifier la loi en conséquence. Mais Ottawa n'a toujours pas effectué ces modifications. Dans l'intervalle, tranche le juge, la loi fédérale continue de s'appliquer.

Québec plaidait que ce n'était pas le cas parce que ces articles se trouvaient «sous respirateur artificiel».

Le gouvernement fédéral est intervenu au cours de l'audience pour appuyer la demande d'injonction, pilotée par Lisa d'Amico, une femme handicapée, et le Dr Paul Saba, un médecin de famille et militant anti-euthanasie notoire.

Ce dernier s'est dit «absolument» satisfait. «Comme médecin, l'aide médicale à mourir ou l'euthanasie, ce ne sont pas des soins médicaux», a-t-il dit en entrevue.

Québec a toujours maintenu qu'il n'a pas à attendre la modification du Code criminel. Le gouvernement soutient que les soins en fin de vie relèvent du domaine de la santé, une compétence des provinces, et non du domaine criminel, une compétence du fédéral.

La ministre Vallée a réitéré cette position mardi.

«Rappelons-nous très clairement que l'aide médicale à mourir, c'est un soin de santé, a-t-elle dit. Dans le jugement, on fait un parallèle beaucoup trop étroit avec l'euthanasie.»

Mme Vallée garde toujours espoir que la loi québécoise pourra entrer en vigueur le 10 décembre, comme prévu.

Une voie de sortie?

Avocat spécialisé dans la défense des droits des patients, Me Jean-Pierre Ménard estime que la loi québécoise est constitutionnelle et conforme aux lois et que le gouvernement a de bons arguments pour porter cette décision en appel.

Même si le jugement suspend les dispositions de la loi sur l'aide médicale à mourir, Me Ménard affirme qu'en tout temps, le procureur général du Québec pourrait décider de ne pas poursuivre tout médecin qui déciderait d'offrir malgré tout l'aide médicale à mourir à un patient à partir du 10 décembre. «À ce moment, les médecins qui pratiqueraient l'aide médicale à mourir ne pourraient en aucun cas être poursuivis au Québec», dit-il. Comme ce fut le cas avec l'avortement. Mais pour l'instant, aucun avis n'a été donné en ce sens.

- Avec Ariane Lacoursière