Il est né au Canada, a toujours vécu au Canada, a même détenu un passeport canadien. Pourtant, depuis qu'il a purgé une peine de prison entre 2010 et 2013, Deepan Budlakoti est aujourd'hui menacé d'être expulsé... en Inde, le pays d'origine de ses parents.

Or, l'Inde ne reconnaît pas ce citoyen né au Canada qui n'a jamais vécu en Inde, et le Canada ne veut pas reconnaître ce citoyen né à Ottawa de parents indiens.

Deepan Budlakoti est donc une sorte d'apatride. Il corrige: «Mais je suis citoyen canadien!»

L'homme de 26 ans, de passage hier en Cour fédérale à Montréal, se bat depuis quatre ans pour faire reconnaître cette citoyenneté. Il est né en octobre 1989 de parents indiens qui travaillaient au haut-commissariat de l'Inde à Ottawa. Selon la loi, les enfants nés au Canada d'employés de représentations étrangères ne deviennent pas automatiquement canadiens.

«Sauf que mes parents ne travaillaient plus au haut-commissariat lorsque je suis né», plaide-t-il. Une nuance qui allait faire toute la différence 20 ans plus tard.

Crimes et délits

En 2009, Deepan Budlakoti est arrêté une première fois par la police pour introduction par effraction. L'année suivante, il est condamné à trois ans de prison pour trafic d'armes, possession d'arme prohibée et trafic de stupéfiants.

En 2011, à la surprise de M. Budlakoti, le ministère de l'Immigration conclut qu'il n'est pas citoyen canadien, mais bien résident permanent. Il conteste l'affirmation, alléguant que ses parents avaient cessé de travailler au haut-commissariat quatre mois avant sa naissance et qu'il a droit à la citoyenneté.

Les preuves se contredisent au sujet de la date de fin d'emploi auprès du haut-commissaire adjoint, mais la Cour fédérale tranche en 2012: il n'est pas citoyen canadien.

En juin dernier, la Cour d'appel fédérale le déboute une seconde fois, en précisant qu'il n'a pas été déchu de sa citoyenneté canadienne puisqu'il ne l'a jamais obtenue. Et son passeport canadien? Il n'aurait jamais dû en détenir un, dit la Cour d'appel. «L'erreur du Bureau des passeports n'est pas un gage de citoyenneté.»

Il n'est pas «apatride» non plus au sens de la loi internationale, dit la Cour. Deepan Budlakoti n'a pas la citoyenneté indienne, mais il ne l'a jamais demandée non plus. Il pourrait aussi demander officiellement la citoyenneté canadienne... même s'il a perdu son statut de résident permanent.

Vers la Cour suprême? 

Pour le conseiller juridique MacDonald Scott, le cas de Deepan Budlakoti est utilisé par le gouvernement fédéral comme «un test pour voir comment on peut dépouiller quelqu'un de sa citoyenneté». «En fait, c'est un retour à l'époque médiévale. Le gouvernement conservateur a créé un système par lequel il peut exiler ses citoyens.»

Hier, Deepan Budlakoti était de passage en Cour fédérale pour demander un allégement des conditions qui lui sont imposées depuis sa sortie de prison en 2013. L'homme doit notamment se présenter tous les trois mois chez les agents d'immigration. Il n'a, évidemment, plus de passeport canadien. Depuis sa défaite en Cour d'appel fédérale, il évalue le recours en Cour suprême.

Trouver un emploi, dans cette situation, «est très difficile», dit M. Budlakoti, qui donne des conférences dans des universités canadiennes. «J'ai plaidé coupable à mes crimes, j'ai purgé ma peine en prison, dit-il. J'essaie maintenant d'aller de l'avant avec ma vie.»

Renoncer à la double citoyenneté?

Certains Canadiens qui viennent de pays qui offrent la double citoyenneté (comme l'Inde et les Philippines) songent à changer leur statut pour éviter d'être dépouillés de leur citoyenneté canadienne, a rapporté la semaine dernière La Presse Canadienne. Selon un rapport du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, ces Canadiens songent à renoncer à cette double citoyenneté parce qu'ils craignent que leur statut les rende vulnérables si jamais les critères de la loi adoptée en 2014 s'appliquaient un jour à des crimes moins graves que le terrorisme, la trahison ou l'espionnage.