Rapport médical à l'appui, il aurait convaincu ses amants qu'il n'avait pas le sida pour avoir avec eux des relations sexuelles non protégées. Ce qu'il ne leur aurait pas dit, c'est que les documents étaient faux.

L'affaire ébranle la communauté gaie de Montréal. Vendredi dernier, un célèbre coiffeur et mannequin à ses heures a été accusé d'agression sexuelle grave pour avoir sciemment transmis le VIH à deux anciennes flammes. Non seulement il leur aurait caché qu'il était séropositif, mais il aurait falsifié ses résultats médicaux en dérobant des papiers à en-tête à son médecin traitant, le Dr Réjean Thomas, de la clinique l'Actuel.

Au Canada, les cas où des gens ont été accusés devant le tribunal d'avoir répandu le sida sont assez rares. Ceux où une personne est allée jusqu'à trafiquer ses résultats de test médicaux pour se prétendre séronégatif, quasi inexistants.

«Je n'ai jamais vu une histoire comme ça», confirme le Dr Réjean Thomas, grand spécialiste du VIH, qui n'a pas caché sa consternation. «Je n'ai pas eu la confirmation que c'est vrai», a-t-il tenu à préciser, expliquant que le secret professionnel l'empêche d'en dire plus.

Rafael Eduardo Llaneza Estrella, 34 ans, qui vit sous le nom de Rafael Dunn, a été arrêté jeudi soir de la semaine dernière par le Service de police de Montréal. Il a comparu le lendemain devant un juge pour répondre à deux chefs d'accusation d'agression sexuelle grave.

Selon des documents judiciaires obtenus par La Presse, Dunn a rencontré ses deux partenaires il y a quelques années par l'entremise d'internet. Il a entretenu des relations à long terme avec eux, l'un comme amoureux, l'autre comme amant.

Et il aurait tout fait pour leur cacher son état de santé, se montrant particulièrement insistant pour avoir des relations sexuelles non protégées en affirmant à maintes reprises qu'il était «clean».

Pourtant, selon les mêmes documents, il avait un diagnostic depuis 2004.

«Je suis très safe»

La première fois qu'il a eu une relation sexuelle avec l'homme qui allait devenir son conjoint, ce dernier lui a demandé s'il était «safe».

L'autre lui a assuré que oui. Lorsqu'ils ont eu leur première relation sexuelle anale, son amoureux a exigé qu'il porte un condom. «Tu n'en as pas besoin avec moi. Je suis très safe. C'est très important pour moi que tu prennes ma semence. Très important qu'on ait cette connexion», aurait répondu Rafael Dunn.

La victime alléguée a confié à la police qu'elle n'aurait «jamais entrepris une relation de quelconque forme avec lui», si elle avait su qu'il était séropositif.

Un an après le début de leur relation, le conjoint se met à enchaîner les problèmes de santé. Il traîne une grippe durant un mois, puis se met à ressentir des brûlements lorsqu'il urine. Il décide de passer un test de dépistage du VIH. Les nouvelles sont mauvaises. Démoli, il avise Dunn et le supplie d'aller se faire tester. Il l'accuse de l'avoir trompé et de l'avoir contaminé.

Pour prouver son innocence, Dunn lui montre un document vieux d'un an avec l'en-tête de la clinique l'Actuel sur lequel on lit «HIV Negative». Les deux hommes continuent d'avoir des relations sexuelles non protégées. «Si tu l'as, je l'ai sûrement attrapé», aurait dit Dunn pour expliquer son comportement. Il ordonne à son copain de taire leur état de santé, expliquant que «ça ruinerait sa vie, et surtout sa carrière de styliste coiffeur».

«Nous serons toujours connectés»



C'est à la même époque, durant un séjour aux États-Unis, qu'il aurait rencontré sa deuxième victime alléguée. Les premiers jours, ils se draguent. C'est la veille du départ que les hommes auraient eu leur premier rapport sexuel. Encore une fois, l'accusé aurait refusé de porter un condom en jurant qu'il était «clean». Les amants se fréquentent durant plusieurs mois, puis rompent.

Six mois plus tard, lors d'une conversation téléphonique, Rafael Dunn aurait dit à son ancienne flamme qu'ils «seront toujours connectés». «Toi et moi, quoi qu'il advienne, tu ne pourras pas changer ce fait.» Inquiet, l'autre passe un test de dépistage. Pour lui aussi, les nouvelles sont mauvaises.

Il accuse son ex de l'avoir contaminé. Ce dernier aurait répondu que ce n'était pas lui, parce qu'il est négatif. Il lui aurait envoyé copie du même faux document médical à l'appui.

Plusieurs mois plus tard, la première victime est entrée en contact avec la deuxième. En recoupant les informations, les deux hommes ont découvert qu'ils avaient subi les mêmes mensonges. Ils auraient ensuite montré au Dr Thomas les résultats de tests que Dunn leur a fournis pour prouver sa bonne santé. Ce dernier aurait affirmé ne jamais avoir rempli ces documents. Ensemble, les deux hommes ont porté plainte. Ils auraient aussi avisé le nouveau conjoint du suspect. Ce dernier leur a répondu avoir déjà confronté Dunn à ce sujet. Il aurait assuré être négatif.

Le grand tabou

Pour Réjean Thomas, cette sombre histoire montre à quel point le tabou entourant le sida demeure grand malgré les efforts. «Ça en dit beaucoup sur le stigma. Sur à quel point cette personne vit mal [sa maladie] pour en arriver là.»

Il insiste aussi sur l'importance d'établir une réelle relation de confiance avant d'accepter un rapport sexuel non protégé. «Il faut plus qu'un test de charge virale pour faire confiance à quelqu'un. Il faut une vraie notion de confiance et ça prend plus qu'une fois, plus qu'un mois à construire.»