L'ancien juge de la Cour d'appel Jacques Delisle, condamné à la prison à perpétuité pour le meurtre prémédité de sa femme, tente un recours ultime. Son avocat s'adresse au ministre de la Justice et procureur général du Canada, Peter MacKay, pour faire réviser son dossier.

L'avocat James Lockyer de Toronto est convaincu que son client a été condamné à tort, en raison d'une preuve balistique erronée et parce qu'il n'a pas témoigné à son procès. Le criminaliste compte sur un réexamen de la preuve balistique par un laboratoire de sciences judiciaires situé en Ontario pour faire innocenter Delisle. Son «optimisme» repose aussi sur une déclaration sous serment de Delisle au ministre, qui explique pourquoi il n'a pas témoigné.

Me Lockyer est appuyé par son organisation, l'Association pour la défense des personnes injustement condamnées. Il s'est présenté en conférence de presse vendredi matin à Québec au côté des enfants de Delisle, Jean et Élène, qui sont convaincus que leur père n'a pas tué leur mère, Nicole Rainville, et est innocent.

Nicole Rainville, âgée de 71 ans et paralysée du côté droit, a été retrouvée morte chez elle en novembre 2009, un pistolet à côté d'elle. Delisle affirme qu'elle s'est enlevée la vie. La Couronne a de son côté plaidé qu'il s'était débarrassé de sa femme pour vivre avec sa maîtresse et éviter un divorce coûteux. Un jury l'a reconnu coupable en juin 2012. La Cour d'appel a confirmé le verdict en 2013, et de même, la Cour suprême l'avait débouté à la fin de cette même année.

Au centre de cette affaire: la preuve balistique de la Couronne, fondée notamment sur la trajectoire de la balle et le résidu de poudre de la balle.

«Je crois que le jury a eu tort (d'accréditer la thèse de la Couronne), a déclaré Me Lockyer en conférence de presse. Je suis convaincu personnellement, l'association est aussi convaincue, que les experts de la Couronne avaient tort, et que l'expert de la défense avait raison (de soutenir) que Mme Delisle a dû se suicider.»

Il attend la réponse du laboratoire ontarien, le Center of Forensic Sciences, qui fera savoir dans quelques semaines s'il accepte ou non de se pencher sur ce cas.

La déclaration sous serment de Delisle pourrait aussi faire pencher la balance, même s'il avoue maintenant avoir menti. Il prétendait qu'il s'agissait simplement d'un suicide, or c'est lui qui serait allé chercher le pistolet et l'aurait chargé en le laissant à sa femme. Il a dit à Radio-Canada avoir voulu ainsi éviter l'accusation de suicide assisté.

Il explique qu'il a refusé de témoigner à son procès «pour pouvoir éviter à ses enfants et petits-enfants d'être soumis à un surcroît d'anxiété et d'humiliation publique», peut-on lire dans le communiqué.

«Sa bru l'a prié de ne pas témoigner pour leur bien et celui de leurs petits-enfants», a soutenu Me Lockyer. La famille soutient avoir l'impression d'avoir une «part de responsabilité» dans ce qui est arrivé à Delisle.

«L'influence que nous avons eue sur sa décision de ne pas témoigner est aussi un poids que nous porterons pour toujours», a dit son fils, Jean Delisle, qui soutient que son père est victime d'une erreur judiciaire «grave».

«Nous avons la certitude que mon père n'a pas tué ma mère, nous n'en avons jamais douté un seul instant, a clamé Jean Delisle. Mon père aimait profondément ma mère et l'a aimée jusqu'à la fin de sa vie. Il a été un bon mari, présent, attentionné, dévoué et aimant.»

Le ministre peut soit décider d'ordonner un nouveau procès, ou renvoyer le cas à la Cour d'appel du Québec, a expliqué Me Lockyer. Ou encore, le gouvernement peut envoyer l'affaire à la Cour suprême, puisque Delisle siégeait à la Cour d'appel et il serait délicat que ce tribunal révise le dossier.

Pour sa part, le ministre de la Justice, Peter MacKay, a commenté. De passage à Montréal, il a dit avoir reçu certains des renseignements sur ce cas qu'il qualifie de cas «unique», parce qu'il implique un ancien juge.

«C'est nécessaire de revenir sur ce cas, a-t-il indiqué. Je vais prendre le temps nécessaire pour examiner la preuve et prendre une décision.»

Il a reconnu que le statut d'ancien juge de Delisle limite les options, mais qu'il existe un processus pour répondre à ce type de situation.

Le ministre ne peut acquitter Delisle. Cependant, quand l'affaire est renvoyée devant le tribunal, la Couronne choisit souvent de ne pas procéder, selon l'expérience de Me Lockyer, et le client se trouve à être acquitté.

L'avocat Jacques Larochelle, qui a représenté Delisle dans les procédures précédentes, a pour sa part justifié ses choix, les motifs pour lesquels il n'a pas eu recours au témoignage de son client et à sa nouvelle version des faits.

«Je ne crois pas que les critères soient les mêmes en Cour d'appel et devant le ministre. Le ministre n'est pas lié par les mêmes critères rigoureux qui gouvernent la Cour d'appel», a-t-il fait valoir.

Sur ses chances de réussite, Me Lockyer a dit qu'il n'était pas «prophète», mais une fois qu'il croit en l'innocence de quelqu'un, le taux de réussite est élevé, avec de la persévérance.

«Je peux me tromper, mais j'espère que non. Je suis très optimiste», a-t-il dit.

À ce jour, toutes les demandes de révision adressées au ministre par l'Association pour la défense des personnes injustement condamnées ont été couronnées de succès, a-t-il précisé, parce qu'elle choisit soigneusement ses dossiers.

«Nous ne voulons pas perdre notre réputation d'équité en choisissant des dossiers qui ne sont pas des dossiers de personnes innocentes», a conclu l'avocat.

Delisle aura 80 ans en mai prochain. Il est admissible à la libération conditionnelle en 2037 et il mourra donc en prison s'il n'obtient pas un acquittement.