Quand il a aperçu ses collègues au centre de la rue Berri, visiblement prêts à faire feu sur Alain Magloire, le policier Denis Côté savait que les secondes étaient comptées. Il devait agir sur le champ. Dans une manoeuvre improvisée, il a tenté de déstabiliser le sans-abri en fonçant sur lui avec sa voiture. Héros de la tuerie du Collège Dawson en 2006, le policier a livré un témoignage attendu hier devant le coroner Luc Malouin qui enquête sur les circonstances du décès d'Alain Magloire.

Le matin du 3 février 2014, Denis Côté s'apprêtait à rentrer au poste de quartier 22, près du pont Jacques-Cartier, quand il a capté un appel sur les ondes radio à propos d'un conflit entre un tenancier d'hôtel et un client mécontent. Peu après, il a entendu un second appel concernant un homme armé d'une masse, dans la rue Saint-Denis. «Ça a sonné une cloche. Je savais qu'il pouvait y avoir de la violence.» Aussi, l'agent est retourné à son véhicule et s'est mis en route, rue Maisonneuve vers l'ouest.

Policier depuis 31 ans, Denis Côté patrouille toujours en solo. Un choix personnel. «Mieux vaut être seul que mal accompagné», a-t-il dit. Alors qu'il roulait, les informations se précisaient. «J'ai entendu une policière dire que l'homme refusait de "dropper" son marteau. Elle avait haussé le ton de voix et semblait sur un mode panique, hors de contrôle de la situation.» «Où ce que t'es?», a demandé un policier sur les ondes. «Berri-Maisonneuve», a répondu l'agente Jeanne Bruneau, dans l'erreur. «Dépêchez-vous!»

L'agent Côté s'y est rendu en urgence, actionnant sirènes et gyrophares. N'ayant pu repérer sa collègue ni le suspect, il intervenu sur les ondes: «Je le vois pas, t'es où?»

L'incident se déroulait plus au nord, face au terminus Berri. Le policier s'est immédiatement dirigé vers les lieux en accélérant. «J'ai vu les policiers dans la rue qui reculaient, en position de tir. Le suspect avançait d'un pas décidé, il semblait agité, en mode agressif.» Alain Magloire avait un marteau à la main.

Tenter d'éviter le pire

Freiner n'était pas possible. «J'ai eu un flash. J'étais le seul policier immunisé contre la menace. J'ai donc voulu percuter l'homme de côté avec mon véhicule. J'ai retiré sirènes et gyrophares pour créer un effet de surprise. J'ai ajusté ma vitesse en espérant intervenir avant les coups de feu.» S'il avait réussi à le déstabiliser, le pire aurait pu être évité, croit-il. « J'étais conscient que je pouvais le blesser, mais c'était mieux que de l'abattre. »

La manoeuvre de l'agent Côté a cependant échoué; une autopatrouille s'est avancée à sa gauche en trombe, avec sirènes et gyrophares, attirant l'attention d'Alain Magloire. «Il m'a vu peu avant l'impact, ça m'a pris de court. Il était trop tard pour changer ma manoeuvre et augmenter ma vélocité.» Il roulait tout au plus à 10 km/h. Selon le policier, Alain Magloire a donc réussi à sauter sur le capot, il a heurté violemment le pare-brise et a rebondi sur le trottoir. «Je l'ai vu debout, le marteau en l'air. Un agent était par terre.» Il a entendu les coups de feu et a vu le suspect être projeté sur le mur.

Comme il a déjà été ambulancier, le policier Côté a tenté de réanimer le blessé. Il a également essayé de repérer les plaies causées par les balles. Sans succès. «Il avait plusieurs couches de vêtements, j'ai tenté de le dégager. Je me suis aperçu que son pouls était filant. On le perdait.»

Quand les ambulanciers sont arrivés, il était déjà trop tard.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Magloire, 41 ans, a perdu la vie le 3 février 2014 alors qu'il était vraisemblablement en pleine détresse psychologique.

Le témoin en cinq points

Dawson

Rappelons qu'en 2006, le policier Denis Côté a mis fin à la sanglante fusillade au Collège Dawson, à Montréal, ayant coûté la vie à Anastasia De Sousa. Au péril de sa vie, il a tiré deux fois et atteint Kimveer Gill au bras droit. Les otages ont ainsi pu s'échapper et le tueur s'est suicidé.

Pas de sanction disciplinaire

À la demande de Me Pierre Poupart, avocat de la famille Magloire, le SPVM a fourni de façon confidentielle au coroner le dossier disciplinaire de l'agent Denis Côté. Il apparaît que l'agent n'a fait l'objet d'aucune sanction en lien avec l'usage inapproprié de la force, et d'aucune sanction de toutes natures depuis 2000.

Un pistolet électrique par policier

L'agent Denis Côté milite depuis cinq ans pour une présence plus répandue des pistolets électriques au sein du corps policier. Après la mort d'Alain Magloire, il a suivi une formation pour l'utiliser. «Le pistolet électrique est rarement là au bon moment. Si chaque policier en avait un, ça ne serait pas de trop.» Au centre-ville, chaque poste compte un pistolet électrique.

Utilisé le mois dernier

Denis Côté a utilisé un pistolet électrique le mois dernier, dans le parc situé devant le terminus Berri. «L'homme s'était ouvert la gorge et refusait de laisser tomber son couteau. Il n'était pas agressif. Je l'ai «tasé», on l'a conduit à l'hôpital et on l'a réchappé.» Ceci dit, Côté admet que «ce n'est pas une baguette magique» et qu'il faut en faire usage dans un contexte précis, lors de résistance passive.

Pas une option

Dans les secondes précédant le décès d'Alain Magloire, attendre l'arrivée d'un pistolet électrique «n'était absolument pas une option», selon le témoin. Les policiers visaient l'itinérant, «ça veut dire qu'ils vont tirer dans les secondes, voire la seconde à venir». Côté est néanmoins d'avis que, s'ils avaient eu un pistolet électrique en leur possession, ses collègues auraient pu tenter de l'utiliser alors qu'ils poursuivaient M. Magloire, quand ils avaient son dos comme cible.