Les employés du Walmart de Jonquière ont finalement eu gain de cause à la Cour suprême du Canada vendredi, près de 10 ans après la fermeture du magasin dans la foulée de la création d'un syndicat.

Dans une décision à cinq contre deux rédigée par le juge québécois Louis LeBel, la Cour a confirmé la décision de l'arbitre en première instance et lui a renvoyé le dossier pour qu'il détermine les conséquences de cette fermeture pour le géant de la vente au détail. Ces conséquences pourraient inclure le paiement de dommages et intérêts.

C'était le dernier d'une série de recours infructueux pour les 200 employés du Walmart qui a fermé ses portes en avril 2005. La Cour suprême avait elle-même rejeté l'un de ces recours en 2009.

Cette nouvelle affaire portait sur l'article 59 du Code du travail, qui interdit à l'employeur, à compter d'une requête en accréditation d'une unité syndicale, de modifier les conditions de travail des salariés sans leur consentement.

Walmart a ouvert son magasin en 2001. En août 2004, une accréditation a été consentie par la Commission des relations de travail pour un syndicat représentant ses employés. Le 2 février 2005, après des rencontres jugées infructueuses dans le but de négocier une convention collective, l'entreprise a annoncé son intention de fermer ses portes «pour des raisons d'affaires».

La question à laquelle la Cour suprême devait répondre était de savoir si cette fermeture correspondait à une modification unilatérale des conditions de travail des employés, contraire à l'article 59 du Code.

La majorité des juges ont répondu oui à cette question. Selon eux, cet article protège le droit d'association en préservant un climat favorable à la négociation d'une convention collective entre syndicats et employeurs. 

«En codifiant un mécanisme destiné à faciliter la mise en oeuvre du droit d'association, l'article 59 crée donc plus qu'une simple garantie de nature procédurale», a écrit le juge LeBel.

«En imposant à l'employeur le devoir de ne pas modifier le cadre normatif existant dans l'entreprise au moment de l'arrivée du syndicat, cette disposition reconnaît aux employés un droit substantiel au maintien de leurs conditions de travail durant la période prévue par la loi.»

Victoire syndicale

Le syndicat des Travailleurs et Travailleuses unis de l'alimentation et du commerce du Canada (TUAC Canada), auquel était affiliée l'unité syndicale de Jonquière, a applaudi la décision.

«Le verdict de la Cour suprême nous confirme que nul n'est au-dessus de la loi. Ni même une multinationale comme Walmart, qui au fil des ans n'a jamais cessé de multiplier les subterfuges pour empêcher ses associés d'exercer leurs droits à la syndicalisation et pour éviter d'avoir à négocier collectivement avec ses employés au Québec», a déclaré le président national Paul Meinema dans un communiqué.

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a fait écho à ces propos. «C'est vraiment une victoire pour tout le monde syndical», s'est réjoui le secrétaire général de la FTQ, Serge Cadieux.

«Le message de la Cour suprême doit être entendu et les employeurs doivent comprendre qu'on ne peut impunément invoquer de fausses excuses pour sévir contre des employés et employées qui n'ont fait qu'exercer un droit démocratique fondamental. Je salue le courage et la détermination des 190 membres des TUAC de Jonquière.»

Déception chez Walmart

Walmart s'est contenté d'une brève déclaration : «Nous sommes déçus par cette décision. Cet appel faisait suite à une décision unanime de la Cour d'appel du Québec de rejeter la demande du syndicat des TUAC qui selon nous, représentait une demande pour une décision justifiée légalement».

«Nous allons prendre le temps de passer en revue cette décision attentivement afin de voir quelle sera la prochaine étape.»

«C'est David qui a gagné»

Le député de Jonquière, Sylvain Gaudreaut, s'est réjoui de la décision de la Cour suprême.

«Enfin, après neuf ans de patience, ils vont pouvoir avoir des compensations», a dit M. Gaudreault. C'est un peu David contre Goliath. Des travailleurs à petits salaires contre une multinationale de l'envergure de Wal-Mart. On s'aperçoit que c'est David qui a gagné.»

L'absence de commentaires de la part du ministre du Travail, Sam Hamad, relève «d'une forme de laisser-faire», a déploré M. Gaudreault.

La décision «envoie un signal très fort, au Québec, sur l'importance de protéger les droits des travailleurs», a-t-il ajouté.

«Je souhaiterais que le ministre Hamad puisse au moins reconnaître ça.»

Avec Philippe Teisceira-Lessard