Il n'y a pas assez de débats politiques sur la réforme des règles de la prostitution et le gouvernement se dirige tout droit vers de nouvelles poursuites judiciaires s'il va de l'avant avec son intention d'imiter le modèle suédois.

C'est le constat que dressent des groupes de défense des droits des travailleuses du sexe et des chercheurs qui se sont réunis cette semaine à Ottawa pour une conférence.

En décembre, la Cour suprême a invalidé trois éléments importants des règles sur la prostitution au Canada et donné un an à Ottawa pour adopter un nouveau modèle. La Cour a jugé que les règles actuelles, dont l'interdiction de la sollicitation et celle de travailler dans une maison de débauche, mettaient en danger la vie et la sécurité des prostituées.

Le gouvernement Harper examine actuellement ses options et il devrait présenter un projet de loi au cours des prochains mois. Le ministre fédéral de la Justice, Peter MacKay, a déjà exprimé son intérêt pour le modèle suédois, qui criminalise l'achat de services sexuels et le proxénétisme. L'approche a été recommandée par des militants du Parti conservateur au congrès de Calgary en novembre.

Même effet

Mais le Canada aurait tort de s'inspirer du modèle suédois, ont dénoncé plusieurs participants à la conférence qui a eu lieu à l'Université d'Ottawa. Selon eux, cette autre forme de criminalisation maintient la clandestinité des travailleurs du sexe et le problème de sécurité jugé inconstitutionnel par la Cour suprême reste entier.

«L'effet sera le même - ou pire - qu'avec les lois que nous avons contestées», a lancé en entrevue Valerie Scott au sujet du modèle suédois. Mme Scott était l'une des plaignantes dans le dossier Bedford à la Cour suprême.

L'avocate Katrina Paley, qui n'était pas à la conférence mais qui représentait certains intervenants dans le dossier Bedford, examine déjà les voies judiciaires possibles. «Nous étudions toutes les possibilités et examinons les torts qu'elles pourraient engendrer. Nous essayons aussi de voir s'il y a un potentiel pour une contestation constitutionnelle future», a-t-elle dit lors d'un entretien téléphonique.

Nouvelle-Zélande

Ces intervenants encouragent le gouvernement à examiner sérieusement le modèle de la Nouvelle-Zélande, où la prostitution a été légalisée et est notamment soumise à des règles relatives à la santé et la sécurité au travail.

Catherine Haley, une ancienne prostituée néo-zélandaise qui a contribué à la réforme des lois du pays en 2003, a présenté lors de la conférence des données quant aux impacts de ces règles: «Il n'y a pas de preuve selon laquelle il y a plus de bordels, a-t-elle noté. Il n'y a pas de preuve selon laquelle il y a plus de travailleurs du sexe ou de travailleurs du sexe mineurs.» Elle affirme aussi que les prostituées sont plus susceptibles de faire confiance aux services policiers.

«Si vous êtes sérieux dans votre volonté de protéger les travailleuses du sexe de l'exploitation [...], la décriminalisation a fait ses preuves et la situation des travailleuses du sexe s'est améliorée», a lancé Mme Haley à l'attention des politiciens canadiens au cours d'un entretien téléphonique.

Un débat plus ouvert

Mais plusieurs des participants interviewés par La Presse déplorent l'absence de débat politique sur le sujet au Parlement. Tandis que le gouvernement planche sur sa réforme, peu de questions ont été posées par les partis de l'opposition à la Chambre des communes. Le Parti libéral du Canada a évacué une résolution qui devait être débattue à cet égard lors de son dernier congrès. Et le NPD n'a adopté qu'une motion parlementaire, réitérant son appui à la décriminalisation.