Revers de taille pour le gouvernement Harper: le juge Marc Nadon ne pourra pas siéger à la Cour suprême du Canada. Dans une décision historique rendue vendredi, une majorité de juges du plus haut tribunal du pays ont tranché qu'il ne satisfait pas aux critères pour être l'un des trois juges issus du Québec.

Dans un jugement à six contre un, la Cour a donc donné tort au gouvernement conservateur, qui défendait bec et ongles sa décision de nommer ce juge surnuméraire issu de la Cour d'appel fédérale. Le juge Michael Moldaver, dissident, aurait autorisé la nomination et répondu oui aux deux questions posées par le gouvernement dans le Renvoi. 

Le juge Nadon, qui n'aura finalement jamais siégé à la Cour suprême, retournera donc à la Cour d'appel fédérale. «Ces conclusions signifient, concrètement, que la nomination du juge Nadon et son assermentation comme juge de la Cour sont nulles ab initio», peut-on lire dans le jugement majoritaire, c'est-à-dire qu'il est réputé ne jamais avoir été assermenté.

Les six juges de la majorité, qui ont exceptionnellement cosigné l'avis, ont tranché que l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême empêchait la nomination d'un juge de la Cour fédérale comme l'un des trois juges du Québec. 

Ils ont opté pour une lecture restrictive de la disposition, conforme aux représentations du procureur général de la province: seuls les juges de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure du Québec, ou les avocats qui sont membres du Barreau du Québec depuis au moins dix ans peuvent être nommés par Ottawa à la Cour suprême. 

Cet article 6 prévoit qu'au moins trois des neuf juges de la Cour «sont choisis parmi les juges de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure de la province de Québec ou parmi les avocats de celle-ci». 

Le gouvernement fédéral et des intervenants au dossier affirmaient que le juge Nadon était admissible à titre d'ancien membre du Barreau de la province. 

«L'objectif de l'article 6 est de garantir que non seulement des juristes civilistes expérimentés siègent à la Cour, mais également que les traditions juridiques et les valeurs sociales distinctes du Québec y soient représentées, pour renforcer la confiance des Québécois envers la Cour en tant qu'arbitre ultime de leurs droits», ont écrit les juges.

«Autrement dit, l'article 6 protège à la fois le fonctionnement et la légitimité de la Cour suprême dans sa fonction générale d'appel pour le Canada.» 

Changement inconstitutionnel 

Le premier ministre Harper a annoncé sa nomination en octobre. Chose rare: elle était accompagnée d'opinions juridiques d'anciens juges pour attester de son admissibilité. 

M. Nadon a pratiqué le droit à Montréal jusqu'au début des années 1990, lorsqu'il a été nommé à la Cour fédérale. Il a oeuvré pendant le reste de sa carrière dans des cours fédérales, incluant la Cour d'appel de la Cour martiale et la Cour d'appel fédérale. 

La nomination a rapidement été contestée en Cour fédérale par un avocat de Toronto, Rocco Galati. 

Devant cette contestation, le gouvernement fédéral a pris deux mesures: il a modifié la Loi sur la Cour suprême dans le cadre d'un projet de loi omnibus sur le budget pour s'autoriser à nommer un juge de la Cour fédérale à la Cour suprême; le même jour, il a demandé à la Cour suprême de lui donner son opinion sur la légalité de la nomination, d'une part, et sur ces changements législatifs, d'autre part. 

Dans une portion cruciale du jugement, la majorité de la Cour suprême a aussi invalidé les changements législatifs touchant le Québec, affirmant que ces changements étaient inconstitutionnels puisque le Parlement avait tenté de modifier la composition de la Cour sans le consentement unanime des provinces.

«Aux termes de l'al. 41d), les modifications de la Constitution relatives à la composition de la Cour suprême requièrent le consentement unanime du Parlement et de l'Assemblée législative de chaque province.» 

Le seul juge dissident, Michael Moldaver, aurait autorisé cet amendement unilatéral d'Ottawa à la Loi sur les juges puisqu'il jugeait légitime la nomination de Marc Nadon au départ. «À mon humble avis, les mêmes conditions de nomination, énoncées à l'article 5, s'appliquent à tous les candidats, y compris ceux qui sont choisis parmi les institutions québécoises pour occuper un siège réservé au Québec», a-t-il écrit. 

Cet article 5 s'applique aux juges de la Cour suprême du reste du Canada. La Cour suprême a unanimement convenu qu'ils pouvaient être choisis parmi les avocats actuels et anciens d'une province, ainsi que parmi les juges actuels et anciens d'une cour supérieure. 

Cette interprétation permet la nomination d'un juge de la Cour fédérale pour représenter une région du reste du pays. C'est d'ailleurs le cas du juge Marshall Rothstein, qui s'est récusé des audiences durant ce Renvoi. 

Le juge Moldaver a par ailleurs fait valoir que la seule possibilité pour un juge de la Cour fédérale de retourner au Barreau du Québec pour une seule journée pour être admissible à la Cour suprême prouvait l'absurdité de la décision de ses collègues.

Mais la majorité a expressément choisi de ne pas se pencher sur cette question: «Nous soulignons en passant que le renvoi ne soulève pas la question de savoir si un juge de la Cour fédérale ou de la Cour d'appel fédérale qui a été autrefois inscrit au Barreau du Québec pendant au moins 10 ans pourrait s'y réinscrire pendant un jour pour être admissible à une nomination à la Cour en vertu de l'art. 6, nous ne nous prononçons donc pas sur cette question», ont-ils écrit.