Parfum de crise au SPVM: le nombre de policiers-cadres faisant l'objet d'enquêtes fracasse des records. Dix pour cent d'entre eux se sont retrouvés en ligne de mire depuis l'arrivée du directeur Marc Parent, et plusieurs trouvent ce climat de suspicion difficile à supporter, a appris La Presse.

Sur environ 150 policiers-cadres, 15 ont été la cible d'enquêtes sous le règne de M. Parent. «Du jamais vu», concède une source interne qui a vu défiler plusieurs chefs au fil des ans. En temps normal, une seule enquête du genre était en soi un événement exceptionnel.

Chasse aux sorcières de la part du directeur ou ménage nécessaire chez les cadres délinquants? Certaines personnes qui se sont confiées à La Presse penchent pour la première option, d'autres, pour la seconde, et d'autres encore, pour les deux à la fois.

Chose certaine, le climat de suspicion est si répandu aux échelons supérieurs de la police que plusieurs cadres se sont procuré un deuxième téléphone cellulaire. Ils ont trop peur que l'appareil fourni par leur employeur soit placé sur écoute électronique et que leurs conversations privées soient utilisées contre eux, comme ce fut le cas récemment pour certains membres hauts placés de la direction.

Sur les 15 enquêtes, 2 concernaient des plaintes qui se sont finalement révélées non fondées, les cadres visés ayant vraisemblablement été victimes de «salissage», a conclu la direction.

Une autre enquête est venue de l'extérieur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lorsque l'escouade Marteau de la Sûreté du Québec (SQ) s'est penchée sur le cas du commandant François Bouffard, qui possédait avec sa famille une entreprise de construction ciblée par des allégations d'irrégularités à Mascouche sous l'administration du maire Richard Marcotte, aujourd'hui accusé de corruption. Aucune accusation n'a été déposée dans cette affaire, mais le commandant Bouffard n'est pas encore retourné au travail après avoir été «déplacé administrativement».

Allégations sérieuses

Les 12 autres enquêtes sur des membres hauts placés de la police de Montréal ont été déclenchées par la Division des affaires internes pour des allégations jugées sérieuses en matière disciplinaire (4 cas) ou criminelle (8 cas).

Quelques-uns de ces dossiers ont déjà été dévoilés par La Presse. C'est notamment le cas d'une commandante accusée de conduite en état d'ébriété; d'un commandant qui avait fait de fausses déclarations aux douanes; d'un inspecteur qui aurait détourné 10 000$ du budget consacré à la lutte contre la contrebande du tabac afin d'acheter du matériel dont la police avait besoin pour d'autres activités; et d'une cadre dont les subalternes se seraient livrés à de graves débordements lors d'une initiation.

Le SPVM n'a pas voulu dévoiler la nature des autres enquêtes.

«Certains des dossiers sont toujours ouverts, il faut attendre avant de tirer des conclusions. Mais ces enquêtes démontrent le sérieux du suivi au SPVM. Les dossiers sont pris au sérieux et suivis rigoureusement. Il n'y a pas de cachette là. Et depuis l'année 2000, il y a obligation pour nous de signaler tous les cas internes d'allégations criminelles au ministère de la Sécurité publique», a expliqué hier le commandant Ian Lafrenière, porte-parole du corps policier, lorsque confronté aux chiffres de La Presse.

Selon nos sources, le directeur Marc Parent, entré en poste en 2010, a fait savoir à l'interne qu'il souhaitait que son règne soit celui du rehaussement de l'éthique, de la gouvernance et de l'imputabilité. Il n'a pas caché qu'il souhaitait être moins tolérant que l'administration précédente.

«La culture des amis, ça n'existe plus ici!», a-t-il lancé récemment, selon nos informations. La formule a largement circulé grâce au bouche-à-oreille.

Plusieurs cadres trouvent toutefois que le directeur exagère. «C'est rendu que tout se judiciarise, ça n'a aucun sens!», déplore une source bien branchée à l'interne.

Dossier controversé

Un dossier particulièrement controversé est la suspension de deux policiers de haut rang: l'inspecteur Jimmy Cacchione, responsable de la section du SPVM à l'aéroport Trudeau, et l'inspecteur-chef Giovanni Di Feo, de la région Ouest.

Ceux-ci se sont retrouvés sur le radar d'une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) parce qu'ils avaient des contacts préoccupants avec des «personnes d'intérêt» de mauvaise réputation comme Luigi Coretti, ancien patron de l'agence de sécurité BCIA accusé de fraude.

Cacchione et Di Feo ont été placés sur écoute électronique, et de nouveaux reproches leur ont été faits lorsqu'on les a entendus contester Marc Parent et son entourage lors de conversations privées.

Leur audience disciplinaire est constamment reportée, et l'association des cadres du SPVM a déjà dépensé 60 000$ pour leur défense. Certains croient qu'ils sont plus victimes de leurs propos contre Marc Parent que de leurs contacts avec des personnes peu fréquentables, ce qu'a nié la direction à plusieurs reprises.

«On est des milliers au SPVM qui pourraient avoir cette accusation-là si nos conversations étaient toutes écoutées», a confié un policier à La Presse.

- Avec la collaboration de Kathleen Lévesque