La Sûreté du Québec va vivre un automne très difficile. Loin de s'arrêter à quatre oficiers de haut rang, l'enquête sur l'utilisation illicite du fonds d'opération pour des missions délicates vise actuellement une dizaine de cadres de la police qui ont eu droit à des primes de départ inexpliquées au moment de leur départ à la retraite.

Des sources policières et gouvernementales ont confié que les enquêtes déclenchées fin 2012 sur trois dirigeants de la SQ et un ancien policier devenu négociateur n'étaient que la pointe de l'iceberg. D'autres dossiers sont sous la loupe de l'équipe d'enquêteurs formée de retraités de la GRC, du SPVM et de la SQ. Jusqu'ici, l'enquête vise trois dirigeants de la SQ: l'ancien directeur général Richard Deschenes ainsi que les officiers Jean Audette et Steven Chabot. MM. Deschesnes et Audette sont toujours employés par la SQ mais suspendus avec salaire.

Cette semaine, le DPCP a surpris tout le monde en déposant des accusations d'abus de confiance et de détournement de fonds contre Denis Despelteau. Certaines informations obtenues par les enquêteurs «laissaient croire qu'il pouvait quitter le pays pour échapper à la loi». Présumément pris à même le fonds d'opération de la SQ, son salaire de consultant - il était négociateur pour la partie patronale - n'avait de plus jamais été déclaré au fisc, démontre l'enquête. Le fonds d'opération, doté d'un budget d'environ 25 millions par année, octroyé par Québec, doit servir uniquement à des opérations délicates comme favoriser des deals de stupéfiants, épingler des contrebandiers, et protéger des délateurs. Comme directeurs associés, Jean Audette et Steven Chabot avaient la responsabilité de l'utilisation de cette cagnotte.

Primes illégitimes de départ

Dans ses conditions de libération, le tribunal interdit à Despelteau de communiquer avec Alfred Tremblay, un retraité, pendant des années «inspecteur aux renseignements de sécurité», un poste névralgique. M. Tremblay aurait aussi bénéficié d'une prime de départ, que l'on croit venir de ce fonds d'opération de la SQ, indiquent nos sources. M. Tremblay était à couteaux tirés avec Normand Proulx qui aurait ainsi voulu faciliter son départ, explique-t-on.

En tout, une dizaine de départs chez les hauts gradés sont survenus dans la période où Normand Proulx et Richard Deschesnes ont dirigé la SQ, soit entre juin 2003 et octobre 2012. La plupart de ces départs furent obtenus grâce à des indemnités de départ. Or, normalement, de telles primes ne peuvent être versées à des cadres qui relèvent des emplois supérieurs. «Aucune prime de départ ne peut être accordée par la Sûreté du Québec», avait dit en décembre dernier le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron. Hier, le ministre a soutenu ne rien savoir de l'avancement de l'enquête, ignorer si d'autres ex-policiers sont sous la loupe des enquêteurs.

Beaucoup de choses restent à débroussailler, confient des sources proches du dossier car des sommes d'argent peuvent légalement être accordées à des cadres qui quittent leur poste après avoir remporté un litige judiciaire avec leur employeur. Dans certains cas aussi, on a donné des sommes importantes pour compenser des vacances qui n'auraient jamais été prises.

L'équipe ad hoc d'enquêteurs avait dû être constituée devant l'évidence que les enquêteurs actuellement en fonction à la SQ ne pouvaient être affectés à cette investigation. Les procureurs du bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales travaillent directement avec le groupe, une pratique courante dans les enquêtes délicates. En coulisses, on indique qu'il n'y aura rien de nouveau dans ce dossier avant la fin de l'été.