« La pire chose que tu ne veux pas qu'il arrive à ton enfant, à part la mort, c'est arrivé. » Anne* est secouée. Il y a une semaine, sa fille Julie* a été retrouvée par la police dans une chambre de motel où elle se prostituait. L'adolescente de 14 ans avait fugué du centre jeunesse de Laval quatre jours plus tôt.

« Elle avait 10 pas à faire d'un bord et 10 pas de l'autre. Pourquoi il n'y a aucun surveillant à l'extérieur ? C'est connu que les gangs de rue font du recrutement directement dans le stationnement des centres jeunesse », se demande la mère, encore ébranlée.

En descendant de l'autobus à la fin des classes, ce jeudi-là, Julie avait deux options : rentrer au centre jeunesse de Laval, comme tous les soirs depuis un an, ou marcher dans l'autre direction et monter dans une voiture avec trois jeunes hommes - dont certains fréquenteraient aussi l'établissement. En moins de deux, l'adolescente a pris la fuite.

« Nous offrons aux jeunes et à leurs familles des services de réadaptation pour les aider à se reprendre en main. À la suite d'une sortie [incluant l'école], le retour des jeunes vers le centre jeunesse s'effectue en transport scolaire, en transports en commun, en voiture avec les parents et à pied. Cela fait partie du processus de réadaptation », a expliqué la porte-parole du CSSS de Laval, Paula Beaudoin, qui ne peut, pour des raisons de confidentialité, commenter de cas précis.

Des caméras sont installées à toutes les entrées du centre et un agent doit en assurer la surveillance. Or même si le CSSS assure qu'il est « toujours prêt à intervenir si nécessaire [...] et qu'un agent de sécurité fait régulièrement une tournée des cours intérieures », cela n'a pas empêché Julie de s'enfuir sans difficulté. Son père l'a su. Même si le centre jeunesse a la consigne d'aviser les deux parents, sa mère n'a été mise au courant que 24 heures plus tard, par la police.

« Je répétais : "Elle est disparue depuis hier ? Hier !? Ma fille n'a pas dormi au centre jeunesse ?" Le centre jeunesse ne m'avait pas avisée », raconte Anne. En raccrochant, elle s'est effondrée. Julie avait déjà fait des fugues de quelques heures, mais jamais elle n'avait découché.

QUINZE CLIENTS EN QUATRE JOURS

Pendant que sa mère se faisait un sang d'encre - Anne connaît trop bien le besoin d'amour insatiable de sa fille, faisant d'elle une cible parfaite pour les enjôleurs et les gangs de rue -, l'adolescente de 14 ans vivait sous le joug de proxénètes dans un motel de Laval, puis de Saint-Eustache.

« Ils l'ont fait travailler. Elle avait une grille de tarifs pour 10, 15 et 30 minutes. [...] J'ai su le nombre de personnes. Je n'étais pas capable d'en savoir plus », dit sa mère, bouleversée.

Quinze. Quinze clients en quatre jours auraient payé pour les services sexuels de l'adolescente de 14 ans.

« Ma fille a le visage d'une enfant, elle a encore ses joues de bébé. Elle a 14 ans. Ils savaient qu'elle n'était pas majeure. Ils ont osé l'abuser, ces gros cochons-là. Je n'arrive pas à me sortir ça de la tête. » - Anne, mère de Julie, 14 ans

« Elle a dit que c'était des gros qui puaient et qu'il y en a un à qui elle a demandé d'arrêter parce que ça lui faisait mal », raconte la mère. Un mélange de colère, de haine et de dégoût se lisait sur son visage aux traits tirés par une semaine de nuits blanches.

MOBILISATION INSTANTANÉE

La famille de Julie a remué ciel et terre pour la retrouver, distribuant des affiches aux quatre coins de la ville, créant une page Facebook - maintenant renommée « Retrouvons nos enfants disparus » - grâce à laquelle l'avis de disparition a été partagé quelque 47 000 fois. Après quatre nuits, elle a été retrouvée par la police. Encore droguée, elle a téléphoné à ses parents.

« Elle n'arrêtait pas de pleurer et de s'excuser de nous avoir fait de la peine. Mais elle ne m'a pas dit qu'elle ne le referait pas. Je ne suis pas rassurée », laisse tomber sa mère, découragée. « Malheureusement, le centre jeunesse est une école négative pour Julie. Elle a été placée là pour travailler sur elle-même, mais elle côtoie de mauvaises influences. »

Depuis son retour au centre jeunesse, Julie doit assister à des rencontres du programme communautaire « Les survivantes » avec des policières du Service de police de Laval (SPL).

« Dans toute cette histoire, elle ne se voit pas comme une victime, se désole sa mère. Je lui ai dit : "Ce sont des pédophiles ! Tu ne réalises pas ce qu'ils t'ont fait ?" »

Dimanche, la jeune fille s'est finalement laissé convaincre par ses parents de déposer une plainte à la police envers les jeunes hommes qui l'ont entraînée dans sa cavale, ou du moins, de collaborer davantage avec les enquêteurs. Une plainte de traite de personne pourrait être déposée.

* Des prénoms fictifs ont été utilisés pour préserver l'anonymat de l'adolescente.