Le prochain juge de la Cour suprême du Canada, Malcolm Rowe, a reconnu mardi qu'il devra se familiariser davantage avec le Code civil du Québec lorsqu'il entrera en fonction.

«Je comprends l'importance de la tradition du Code civil. Presque tous les juges hors du Québec doivent faire face au même défi. Le défi, c'est qu'ils n'ont pas une connaissance suffisante du Code civil», a exposé en français le magistrat de Terre-Neuve-et-Labrador.

«Il n'y a aucune occasion d'utiliser le Code civil, parce qu'il appartient seulement au Québec. C'est un fait, c'est une réalité», a-t-il poursuivi lors de la séance de questions et réponses organisée à l'Université d'Ottawa dans la foulée de sa désignation.

Le juge Rowe s'est néanmoins dit «convaincu» de pouvoir relever le défi en effectuant «des études intensives», mais aussi grâce

à@ l'appui de ses trois futurs collègues du Québec qui siègent au plus haut tribunal au pays.

Il a promis de s'atteler à cette tâche en faisant un clin d'oeil à la devise du quotidien Le Devoir. «Le journal Le Devoir a une devise: "Fais ce que dois". Et je ferai ce que je devrai pour maîtriser le Code civil», a lâché ce fils d'un pêcheur de Terre-Neuve, déclenchant des rires dans la salle.

Si le chef bloquiste Rhéal Fortin a affirmé que le manque de familiarité du juge avec le Code civil du Québec lui inspirait «une grande inquiétude», la ministre de la Justice du Canada, Jody Wilson-Raybould, est d'avis qu'il n'y a là aucune raison de s'alarmer.

«Cela n'est pas un problème, selon moi. Clairement, le juge Rowe apprend rapidement, et il bénéficiera de l'expérience des huit autres juges avec lesquels il travaillera sur une base quotidienne», a-t-elle dit en entrevue avec La Presse canadienne.

En raison des différences juridiques entre le reste du Canada (où la base de référence est la «common law») et le Québec, la Loi sur la Cour suprême stipule qu'au moins trois juges viennent du Québec afin que la Cour ait une connaissance suffisante du droit civil québécois.

Pas juste «effectivement» bilingue

Le juge Rowe a par ailleurs démontré, lors de cette séance, qu'il avait une très bonne maîtrise de la langue de Molière, comme ce qu'indiquaient les résultats des tests qu'il a subis dans le cadre du nouveau processus de nomination mis en place par les libéraux.

«Je lis en français sans difficulté. Je comprends bien le français oral - mieux, d'ailleurs, que je ne le parle. À l'occasion, je cherche le mot juste. Ma grammaire n'est pas parfaite. Mais j'estime que je peux m'exprimer assez clairement pour me faire comprendre», a-t-il expliqué.

Le magistrat dépasse ainsi l'exigence établie par les libéraux, qui se seraient contentés d'un juge «effectivement bilingue» - une personne capable de comprendre le français oral et écrit, mais pas forcément de le parler, comme l'avait défini en août dernier Mme Wilson-Raybould.

«Je veux vous rassurer: la qualité de votre français est sûrement meilleure que la qualité de mon anglais - ou minimalement, aussi bon», a d'ailleurs tenu à souligner le chef du Bloc québécois, Rhéal Fortin.

Même s'il a eu la preuve, en dénichant ce juge de l'Atlantique à l'aise dans les deux langues officielles, qu'il existe un bassin de juristes plus qu'«effectivement bilingue», le gouvernement n'a pas pour autant l'intention de rehausser ses exigences pour la prochaine nomination.

«Notre engagement est en lien avec le bilinguisme fonctionnel», a tranché la ministre Wilson-Raybould lors d'un entretien avec La Presse canadienne.

Un «show», dit Mulcair

Le juge Rowe, désigné il y a une semaine par le premier ministre Justin Trudeau, a passé un peu plus d'une heure à répondre aux questions de neuf députés de tous les partis représentés aux Communes et à celles de cinq sénateurs, devant une centaine d'étudiants.

Il s'agissait de la dernière étape du nouveau processus de nomination libéral qu'ont critiqué les députés de l'opposition, qui auraient voulu participer à l'élaboration de la courte liste de candidats remise au premier ministre plutôt que d'être placés devant un fait accompli.

«Le processus d'aujourd'hui est un peu bancal, parce qu'on n'était pas en comité parlementaire. C'est le genre de «show» dans lequel l'actuel gouvernement aime bien mettre ses énergies», a regretté le chef néo-démocrate Thomas Mulcair.

Il n'a cependant eu que de bons mots pour le juge Malcolm Rowe, un «juriste exceptionnel» qui est «éminemment qualifié» pour occuper ce poste. Les autres parlementaires qui ont participé à la séance de mardi ont abondé dans le même sens.

«J'ai été impressionné par le juge Rowe. Il est très clairement un juriste de grand calibre. Il a fait aujourd'hui la démonstration de toute l'étendue de sa compréhension de la loi», a pour sa part offert le porte-parole conservateur en matière de justice, Michael Cooper.

Les processus de nomination des juges de la Cour suprême ont varié au fil des ans. Pendant un certain temps, l'ancien gouvernement conservateur avait instauré un processus de sélection qui permettait à des députés de tous les partis d'élaborer une courte liste de candidats.

Après la nomination du juge Marc Nadon, qui a ultimement été renversée par la Cour suprême, l'ex-premier ministre Stephen Harper était revenu à un processus de sélection plus opaque, derrière des portes closes.

La ministre Wilson-Raybould n'a pas voulu s'engager à modifier le nouveau processus pour répondre aux demandes de l'opposition, lundi soir, disant attendre une série de recommandations avant de trancher sur cette question.

Maintenant que toutes les étapes du processus ont été franchies, la nomination du juge Rowe n'est qu'une «technicalité», et son assermentation devrait se produire «à très brève échéance», a-t-on indiqué du côté du gouvernement.