La Protection de la jeunesse (DPJ) et la Sûreté du Québec (SQ) ont «failli à leur tâche» de protéger les enfants du groupe ultra orthodoxe Lev Tahor, malmenés pendant des années avant que leurs familles n'abandonnent les Laurentides pour l'Ontario, puis le Guatemala.

Tel est le constat de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, pour qui les travailleurs de la santé et les fonctionnaires de l'éducation ont aussi commis plusieurs manquements.

«J'espère de tout coeur que ce signal d'alarme fera en sorte que ça n'arrivera plus, que le système va apprendre et changera», a déclaré hier le président de la Commission, Jacques Frémont, en conférence de presse.

«La liberté de religion ne peut en aucun cas constituer un prétexte à la maltraitance et à la négligence. [...] Il faut s'approcher de la zone de tolérance zéro.»

La loi dit très clairement que l'intérêt supérieur des enfants doit l'emporter, rappelle l'ancien professeur de droit. Mais «d'autres considérations sont venues gêner le déroulement des interventions en multipliant les délais».

Ces délais «dépassent l'entendement» et sont tout à fait «incompréhensibles», a renchéri le responsable du mandat jeunesse à la Commission, Camil Picard, qui a dirigé le Centre jeunesse de la Montérégie.

Avant la fuite nocturne du groupe, les événements inquiétants se succédaient depuis des années. Allégations de viol en 2007 et de mariages forcés en 2011. Adolescentes suicidaires ou se disant victimes d'inceste en 2012. Puis, les récits d'horreur d'anciens membres, qui parlaient d'enfants battus ou drogués, de très jeunes adolescentes mariées à des hommes ayant au moins le double de leur âge, etc.

Le DPJ des Laurentides a quand même mis près d'un an et demi à organiser l'opération massive qui lui a permis de retenir des signalements pour 134 enfants, souligne le rapport d'un expert indépendant mandaté par la Commission. Et durant tout ce temps, dit-il, les fonctionnaires de l'Éducation ont pris des «moyens nettement insuffisants» pour scolariser les jeunes, gardés dans «des locaux délabrés et froids».

Infiltration

Comment expliquer ce cafouillage? Outre le visible «malaise» noté par M. Frémont à l'égard des groupes fermés, les intervenants n'ont pas su établir les bonnes priorités. «La SQ était surtout préoccupée par la recherche d'informations pour alimenter sa propre enquête», a précisé M. Frémont. C'est pourquoi les policiers ont demandé à la DPJ de retarder son intervention de plusieurs mois. «Et pendant ce temps, les enfants ont souffert et leurs droits ont été violés tous les jours.»

Après avoir obtenu un mandat d'infiltration, les enquêteurs ont même proposé au DPJ qu'une policière se fasse passer pour une intervenante afin de recueillir discrètement des éléments de preuve dans les résidences. «Une procédure jamais vue en protection de la jeunesse», et qui a donc été refusée.

Autre motif: un «manque évident de concertation». La SQ n'a par exemple jamais informé la DPJ qu'elle avait amorcé une enquête sur des allégations de viol par des adultes de la communauté. Et les médecins et infirmières de Sainte-Agathe-des-Monts n'ont jamais songé à alerter la DPJ lorsqu'ils ont constaté les problèmes d'hygiène des enfants du groupe ou remarqué, lors de leurs visites postnatales, «une ambiance de secret, de contrôle et d'isolement».

Questions sans réponse

Pour éviter que l'histoire ne se répète, la Commission recommande que tous les intervenants soient formés, qu'on leur donne des outils pour intervenir en milieu sectaire et que l'entente de collaboration qui existe déjà entre cinq ministères tienne compte de cette réalité complexe.

Si complexe, en fait, que la Commission vient de créer un groupe de travail qui poursuivra son analyse «pour faire progresser les droits des enfants en situation de vulnérabilité ou d'exclusion».

D'après M. Frémont, l'étude du cas Lev Tahor «ne répond pas à toutes les questions et ne permet pas d'établir des positions fermes et finales quant au respect du droit des enfants vivant dans des communautés fermées».

- Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron

Faire bouger l'Ontario

Les intervenants québécois doivent pouvoir compter sur les Ontariens pour faire respecter les jugements en protection de la jeunesse, ce qui ne s'est pas produit dans le cas des Lev Tahor, et a permis au groupe de fuir au Guatemala. «Le gouvernement s'engage à entreprendre des échanges avec l'Ontario, pour des dispositions législatives, pour que des situations comme celles-là ne se reproduisent pas», a déclaré hier Lucie Charlebois, ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique.

La ministre faisait écho à l'une des recommandations de la Commission, laquelle a souligné que des ententes permettant de rapatrier les enfants vulnérables ont déjà été conclues avec les huit autres provinces. «Ce n'est pas un hasard si les familles ont fui en Ontario. [...] Ça a été le maillon le plus faible», a dit M. Frémont.

Trois réactions

«Nous sommes déjà à l'oeuvre pour répondre à l'ensemble de ces éléments et pour apporter des améliorations à nos façons de faire.»

- Lucie Charlebois, ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique

«Oui, nous aurions pu faire les choses autrement. Nous accueillons les pistes de solution et nous saluons le fait que l'intérêt de l'enfant soit remis au premier plan.»

- Denis Baraby, DPJ des Laurentides

«La Sûreté du Québec fera l'analyse du rapport afin de déterminer si des actions pourraient être mises en place pour améliorer l'efficacité du processus. [...] La SQ a été en lien constant avec la DPJ. La DPJ ne pouvait pas transmettre certaines informations sur des mineurs sans ordonnance de cour.»

- Claude Denis, porte-parole de la SQ