L'accident qui a tué un enfant de 5 ans quand la voiture de son père a été emboutie à toute allure par celle d'un agent de la Sûreté du Québec dans un secteur résidentiel risque de forcer la police à revoir ses procédures secrètes de filature.

Hier, La Presse a révélé que neuf mois après la violente collision survenue en février à Longueuil, le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a décidé de ne pas déposer d'accusation contre le policier qui était au volant. L'homme ne répondait pas à un appel d'urgence et roulait à plus de 120 km/h dans une zone où la vitesse maximale est de 50.

Il a été établi que le policier ne conduisait pas en «mode urgence» et qu'il ne répondait pas à un appel. Selon nos informations, il allait plutôt relever une équipe de filature affectée à une enquête qui ne porte pas sur des crimes violents.

La mort de l'enfant dans ce contexte particulier a ouvert un panier de crabes au sein des corps de police, où les techniques de filature sont généralement tenues secrètes et où les excès de vitesse sont parfois inévitables, nous dit-on.

Depuis la collision, «l'ensemble des policiers [de la Sûreté du Québec] affectés à la filature a été rencontré par un gestionnaire qui a effectué un rappel des procédures», explique le lieutenant Guy Lapointe.

Mais le malaise persiste. «Depuis que c'est arrivé, tout le monde conduit sur les brakes», confie une source. Au sein des principaux corps policiers de la province, dont la SQ et le SPVM, on craint une révision complète des façons de faire en raison de cet événement.

Une famille sous le choc

Le drame de la famille Thorne-Belance, qui ne comprend pas pourquoi le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a décidé de ne pas déposer d'accusations contre le policier qui a heurté leur fils, a rebondi jusqu'à l'Assemblée nationale, hier.

À mots à peine couverts, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée a blâmé le DPCP dans la gestion de l'affaire.

Le député péquiste et critique en matière de justice, Alexandre Cloutier, a demandé à Mme Vallée d'intervenir pour que les parents, désemparés, puissent obtenir des explications sur la décision du DPCP.

«La situation particulière à laquelle mon collègue fait référence est en effet quelque peu inusitée puisqu'un représentant du directeur des poursuites criminelles et pénales aurait dû accompagner les policiers» lors de l'annonce de la décision à la famille, a répondu la ministre. Elle a ajouté plus tard que le DPCP «doit et va rencontrer la famille afin d'expliquer la situation qui l'a amené à ne pas porter d'accusations» contre le policier de la Sûreté du Québec.

Stéphanie Vallée a reconnu que la mort d'un enfant dans ce dossier représente «des circonstances terribles pour des parents». Mais selon elle, la décision de ne pas porter d'accusations dans le dossier s'est prise dans les règles. «L'analyse du rapport, de l'ensemble des faits dans le litige a été entreprise de façon tout à fait indépendante par le Directeur des poursuites criminelles et pénales.»

Quelques heures plus tard, le DPCP annonçait par voie de communiqué qu'il rencontrerait la famille de l'enfant d'ici quelques jours «afin de l'informer des motifs au soutien de sa décision de ne pas porter d'accusation».

L'organisme prévoit ensuite rendre publics «certains éléments d'information relatifs à sa décision dans un souci de transparence et afin de maintenir, voire renforcer la confiance du public envers le DPCP». Un geste rarissime, puisque le DPCP ne dévoile généralement aucun détail sur les enquêtes lorsque aucune accusation n'est portée dans un dossier.

Le directeur des poursuites criminelles et pénales dit aussi travailler «à l'élaboration d'une politique de communication visant à rendre publics les motifs au soutien de certaines de ses décisions, notamment celles relatives aux enquêtes indépendantes».

Hier matin, un officier de la Direction des normes professionnelles de la Sûreté du Québec a contacté les parents de la petite victime pour leur expliquer quels sont leurs recours contre leur employé. Le même officier a été chargé d'analyser les résultats de l'enquête indépendante menée par le SPVM, et qui a mené à la décision du DPCP, afin de voir si des sanctions disciplinaires s'imposent.

Le policier en cause dans cette tragédie ne fait plus de filature. Il travaille maintenant au sein d'une unité d'enquête.

Bureau d'enquête indépendant

Cette affaire relance le débat sur les enquêtes menées par des policiers sur des policiers. La création d'un bureau d'enquête indépendant «va contribuer vraiment à avoir beaucoup plus de transparence et qu'on puisse comprendre que les enquêtes sont faites d'une manière indépendante», a plaidé la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault.

Lorsqu'on lui a demandé si le DPCP aurait dû s'expliquer auprès de la famille, elle a soutenu qu'«on fait toujours bien de répondre aux questions». «Mais vous savez que ce n'est pas une décision qui m'appartient», a-t-elle noté. Elle a fait valoir que le DPCP est indépendant.