Quelles sont les municipalités et les villes du Québec où les gens risquent le plus d'être victimes d'un crime grave ? La Presse a voulu le savoir.

Mais comment faire pour comparer la criminalité entre des villes ou des quartiers qui sont complètement différents les uns des autres ?

Jusqu'à présent, la plupart des médias et des analystes de la criminalité utilisaient le taux de criminalité, soit le nombre de crimes commis par tranche de 1000 habitants. Mais cet indice n'est pas suffisant à lui seul pour dresser un portrait complet des phénomènes criminels.

D'abord, il ne tient pas compte de la population flottante d'une région, soit les gens qui n'y vivent pas, mais qui y séjournent pour le travail, les loisirs ou toutes sortes d'autres motifs, et qui peuvent y commettre un crime ou en être victime - donc entrer dans les statistiques.

Ensuite, le taux de criminalité ne prend pas en considération la gravité des crimes perpétrés. Par exemple, une petite ville aux prises avec un très grand nombre de vols à l'étalage pourrait paraître plus dangereuse qu'une grande ville où des incidents graves comme des tentatives de meurtre ou des agressions armées se multiplient.

Pour pallier ces lacunes et parvenir à un palmarès plus fidèle à la réalité, La Presse a fait appel aux services du chercheur en criminologie et professeur à l'Université de Montréal Rémi Boivin.

«L'analyse de la criminalité, dit-il, doit traiter d'au moins deux dimensions : le volume et la gravité des infractions. Il est démontré qu'un taux de criminalité élevé ne signifie pas nécessairement un niveau de gravité élevé, et vice versa. L'analyse des données policières sous l'angle de la gravité offre une vision plus complète du phénomène de la criminalité.»

Le chercheur a élaboré une méthode qui permet de mieux comparer le risque pour une personne d'être victime d'un crime grave d'une ville à une autre. Il a analysé pour nous les statistiques de criminalité de 29 des 30 corps de police municipaux de la province et des 86 postes de la Sûreté du Québec pour la période de 2003 à 2013, ainsi que les données par poste de quartier du Service de police de la Ville de Montréal entre 2011 et 2013. Quant aux corps policiers autochtones, ils ne participent pas tous au programme canadien de déclaration uniforme de la criminalité. Ils sont donc exclus de notre palmarès.

Comment ça marche 

Rémi Boivin mesure en premier lieu la gravité moyenne des crimes survenus dans un secteur donné en attribuant des points à toutes les infractions enregistrées par le corps de police pendant une année, en fonction de leur gravité. Pour ce faire, il utilise un pointage mis sur pied par Statistique Canada au terme de plusieurs années de réflexion et d'analyse de la jurisprudence canadienne. Par exemple, un meurtre vaut 7000 points, un vol qualifié compte pour 580 points, une introduction par effraction représente 187 points et des menaces valent 46 points.

Cependant, plutôt que de calculer la gravité moyenne des crimes par rapport à la population résidente d'un secteur, comme le fait Statistique Canada (soit le taux pondéré sur 100 000 habitants), Rémi Boivin la calcule en fonction du nombre de crimes enregistrés par la police. Par exemple, si 100 crimes ont été commis dans une ville, quelle est leur gravité moyenne ? Pour le savoir, on attribue des points à chaque meurtre, vol, agression sexuelle ou autre crime. On additionne ensuite le total des points, qui est alors divisé par le nombre de crimes commis (100 dans notre exemple). C'est comme ça qu'on peut déterminer que la MRC du Fjord-du-Saguenay affiche la gravité moyenne la plus élevée (97,32 points), tandis que la Régie de police de Memphrémagog présente la plus basse (54,12 points).

La méthode de M. Boivin, qui a fait l'objet de deux publications dans des revues scientifiques révisées par les pairs, permet d'éliminer le problème de la population flottante. En effet, les crimes, qu'ils soient perpétrés par un résidant du secteur ou par quelqu'un qui ne fait que passer, sont équitablement compilés par les forces de l'ordre. 

Après avoir établi un classement des villes ou quartiers basé sur cette mesure de gravité (gravité moyenne des crimes commis sur le total des infractions recensées par la police), le chercheur bâtit un deuxième classement, basé sur le taux de criminalité (nombre de crimes par 1000 habitants). Dans les deux cas, les pires scores arrivent en tête de liste.

M. Boivin fusionne ensuite les deux classements en additionnant les rangs obtenus par chaque territoire, ce qui nous donne un palmarès qui tient compte autant de la gravité des crimes que de leur fréquence. C'est ainsi que la Vallée-de-la-Gatineau (21e pour la gravité, 3e pour le taux de criminalité), arrive devant Montréal (7e pour la gravité, 20e pour le taux de criminalité).

En cas d'égalité, la ville qui affiche le plus haut taux de criminalité arrive en tête.

Cette méthode permet de comparer entre elles des régions rurales et urbaines, aisées et défavorisées.

«La méthode n'est pas parfaite, puisqu'elle ne tient pas compte de tous les facteurs qui peuvent influencer la criminalité. Par contre, elle représente une amélioration certaine par rapport aux comparaisons basées uniquement sur la fréquence des crimes [comme le taux de criminalité], croit Rémi Boivin. L'analyse permet d'expliquer des aberrations, comme le fait que Mont-Tremblant a le taux de criminalité le plus élevé de la province, loin devant les métropoles de Montréal, Longueuil et Laval.»