Alors que la crise faisait rage à l'Assemblée nationale, que tout le monde se renvoyait la balle et cherchait un coupable, et que les experts, simples citoyens et journalistes de peu de foi - dont j'étais, je l'avoue - craignaient que Pomerleau, Lefebvre et Denis puissent envoyer un jour aux autorités une carte postale d'une lointaine plage d'un pays du Sud, la Sûreté du Québec (SQ) s'emmurait dans le silence, mais ne perdait pas de temps et trimait dur.

Partie de rien, elle a rapidement identifié et interrogé des gens. Quarante-huit heures à peine après la retentissante évasion d'Orsainville, des sources à la Sûreté du Québec confiaient sans hésitation que les fugitifs étaient toujours dans la province. La Presse vérifiait l'évolution de l'enquête et avait toujours droit à la même réponse claire et nette. En coulisses, des gens à la SQ souhaitaient que les médias cessent de revenir quotidiennement sur le dossier, pour aider l'enquête et abaisser la garde des fugitifs, mais il était bien difficile d'ignorer la crise qui régnait au gouvernement ainsi que dans les milieux judiciaires et correctionnels.

Disons qu'à défaut de pouvoir museler les médias, les informations publiées voulant que les caméras de la prison n'aient pu capter l'hélicoptère et que les fugitifs pouvaient se terrer dans le parc des Laurentides - cette dernière information étant renforcée par une présumée bourde de la police de Saguenay - tombaient à point pour induire en erreur et rassurer les trois hommes les plus recherchés au pays. Vraisemblablement, de bons renseignements et des techniques d'enquête poussées ont fait le reste.

Mais l'enquête n'en est pas pour autant terminée. La SQ, qui est toujours peu loquace, se lance maintenant dans la chasse aux complices - dont on peut dire, sans se tromper, qu'il y en a au moins un, le pilote de l'hélicoptère. Parions sur d'autres développements dans les prochains jours.

Surprenant, oui et non

L'arrestation relativement rapide des trois fugitifs laisse croire qu'ils n'étaient peut-être pas si bien préparés qu'on le pensait. La diminution, en six jours à peine, de leur cote de sécurité à Orsainville, ce qui leur a permis de se retrouver ensemble, sans entrave, dans la cour de la prison, les a peut-être forcés à se tourner rapidement sur un 10 cents pour profiter de cette fenêtre sur la liberté. La sortie de la prison en hélicoptère leur a permis de faire un gros bout de chemin. Mais il en restait un autre, important: rester cachés suffisamment longtemps pour quitter éventuellement la province ou le pays - une tâche ardue, puisque leurs photos étaient diffusées partout dans le monde par Interpol.

Lors de ses deux évasions, le pilote Raymond Boulanger, qui bénéficiait de moyens importants, est demeuré de trois à six mois tapi dans un condo de la rue Sainte-Famille et dans un chalet des Laurentides en attendant d'obtenir ses faux papiers pour gagner la Colombie et le Mexique. À Montréal, il sortait quelques fois et se fondait dans la masse, comme auraient pu le tenter Pomerleau, Lefebvre et Denis. Avec le recul, leur présence dans la métropole, dans un immeuble de condos où l'anonymat prévaut, n'est peut-être pas si surprenante, finalement.

Coup de barre

Avec ces arrestations, l'énorme bourde qui a fait le tour du monde est à demi réparée. L'affaire aura eu au moins le mérite d'exposer au grand jour de graves lacunes dans le système, de constater une «craque» entre les entités judiciaires et correctionnelles, qui ont des intérêts divergents, et de réaliser que, parfois, la main droite ne sait pas ce que fait la main gauche.

Il faut espérer que les autorités ne répéteront pas la même erreur que celle faite à la suite de l'évasion ratée de Benjamin Hudon-Barbeau en mars 2013, que le comité patronal syndical mis sur pied aux Services correctionnels pour améliorer la sécurité survivra et que les solutions ne resteront pas lettre morte, faute d'argent.

On doit déjà s'attendre à ce que cette affaire ait un impact sur les décisions des juges et sur la cote de sécurité des futurs détenus qui demanderont des élargissements pour mieux préparer leur défense.