Après deux semaines de cavale, les trois prisonniers qui se sont évadés par hélicoptère de la prison d'Orsainville ont été retrouvés dans un immeuble de condos de luxe du Vieux-Montréal, où les résidants se disent ébranlés d'avoir hébergé à leur insu de dangereux fugitifs.

Vers 1 h 30, dans la nuit de samedi à dimanche, France Maltais revenait de son cours de tango lorsqu'elle s'est retrouvée dans un ascenseur avec un homme. «Il m'a dit de sortir, car une opération policière était en cours», raconte la résidante du Solano, un immeuble de condos de 15 étages. Mme Maltais est sortie, et six policiers armés de boucliers et de fusils se sont aussitôt engouffrés dans l'ascenseur, sous le regard stupéfait de la femme. Quelques minutes plus tard, elle a entendu un gros bruit. La porte de l'appartement 1007, au 10e étage, venait d'être défoncée.

Du balcon de son appartement, au troisième étage, Mme Maltais a aperçu trois hommes menottés, qui ont été escortés dans trois véhicules différents. Elle a filmé la scène, sans se douter qu'elle assistait à l'arrestation des trois hommes les plus recherchés au Québec. «C'est seulement ce matin [hier] qu'une amie de Québec m'a téléphoné pour me dire que mon immeuble passait à la télé parce que les trois évadés de prison y avaient été arrêtés. Je n'en revenais pas!», affirme la femme, encore sous le coup de l'adrénaline.

En matinée, alors que les photos d'Yves Denis, 35 ans, de Denis Lefebvre, 53 ans, et de Serge Pomerleau, 49 ans, étaient diffusées en boucle sur son téléviseur, Mme Maltais peinait à réaliser qu'elle les avait aperçus quelques heures plus tôt. La seule pensée qu'elle aurait pu croiser trois personnes soupçonnées de meurtre lui donne froid dans le dos.

Au 10e étage, la porte de l'appartement 1007 ne ferme plus et laisse voir les marques de l'assaut. Rencontré sur les lieux, le propriétaire de l'appartement attendait que la porte soit remplacée pour quitter les lieux. Malgré les avertissements des policiers, il a accepté de parler à La Presse, à la condition de ne pas être nommé.

L'homme a été avisé dans la nuit de samedi qu'une opération policière se déroulerait dans un de ses appartements. Quand il a appris que des évadés de prison y avaient trouvé refuge, il en a eu le souffle coupé.

Les policiers ont saisi plusieurs objets à l'intérieur de l'appartement, ainsi qu'une voiture. L'appartement a été passé au peigne fin par une escouade canine. Selon nos informations, aucune arme n'a été retrouvée.

Aux 10e et 9e étages, les voisins, encore sous le choc, ont refusé de répondre à nos questions. Dans le hall d'entrée, certains locataires ont appris par les médias les événements qui s'étaient déroulés dans la nuit. Aucune des personnes rencontrées n'avait remarqué quoi que ce soit de louche au 1007.

Une bonne planque

La nouvelle de l'évasion spectaculaire de ces trois hommes d'un centre de détention de Québec, le 7 juin dernier, a fait le tour du monde. En raison de la controverse entourant la cote de sécurité des évadés et les mesures de sécurité dans les prisons, il ne s'est pratiquement pas passé une journée sans que les médias ne parlent des fugitifs. Il peut donc sembler étonnant que ces derniers aient choisi de se cacher dans la métropole, où la présence policière est pour le moins importante.

Mais l'immeuble représentait, à bien des égards, une planque de choix. Selon Thierry Lindor, résidant de l'immeuble et courtier immobilier, le Solano est un bâtiment où les voisins se côtoient peu. «Les aires communes sont très peu fréquentées. Dans certains immeubles voisins, il y a toujours des familles à la piscine, mais ici, la moyenne d'âge est de 45 à 55 ans, et c'est plutôt tranquille», a-t-il expliqué à La Presse.

De nombreuses productions de cinéma louent ces espaces pendant les tournages pour y loger les équipes de tournage, de même que des sportifs professionnels de passage à Montréal.

«Ce n'est pas surprenant, quand on y pense... Si tu vas te cacher dans un chalet à Saint-Sauveur, les gens se connaissent et remarquent quand il y a des nouveaux venus», a-t-il ajouté. Pas surprenant non plus de les retrouver dans un immeuble aussi luxueux. «Quand on s'évade en hélicoptère, c'est qu'on a de l'argent pour organiser sa fuite», conclut-il.

La SQ avare de commentaires

La Sûreté du Québec refuse de donner quelque détail que ce soit sur la cavale des trois évadés. Visiblement, la police a bénéficié d'informations solides et a usé de moyens d'enquête poussés pour réussir à pincer de nouveau les accusés du projet Écrevisse.

Certaines informations émanant du milieu criminel et venues aux oreilles de La Presse laissent entendre que des gens en voudraient à l'un des fugitifs, Yves Denis. On ignore toutefois si cela a joué un rôle dans leur arrestation.

«Dans toute ma carrière, j'ai rarement vu une enquête qui a nécessité autant de ressources et d'énergie en si peu de temps. Avec un minimum d'information, nous avons réussi à remonter la filière et à les retrouver à Montréal. Beaucoup d'enquêteurs de Québec et de Montréal ont été mobilisés. Notre priorité était de les ramener derrière les murs, et nous avons fait notre travail», affirme le lieutenant Michel Brunet, de la Sûreté du Québec.

Les détenus comparaîtront aujourd'hui au palais de justice de Québec.

- Avec la collaboration de Daniel Renaud

Refuge de luxe

L'appartement où les trois évadés avaient trouvé refuge était particulièrement en désordre après le passage des policiers. Mais malgré la porte défoncée, le condo était relativement en bon état.

Le condo meublé de 65 m2, décoré de façon très moderne, était loué depuis 10 jours pour 2100 $ par mois, et le bail se terminait dans deux mois, selon le propriétaire, rencontré sur les lieux. Le contrat de location s'est conclu par l'intermédiaire d'une agence. Le propriétaire du condo n'a pas voulu nommer cette agence, et assure qu'il n'avait aucune idée de l'identité des locataires.

Lors de la visite de La Presse, des vêtements étaient dispersés au sol, le divan avait été éventré et les pots de plantes, cassés. Dans la pile de vêtements, on a pu apercevoir des t-shirts neufs portant encore leurs étiquettes.

L'appartement ne compte qu'une seule chambre. Deux hommes dormaient dans le salon, un sur le divan et un autre sur un matelas gonflable. Dans la salle de bains, des boîtes de médicaments contre le mal de dos se trouvaient tout près de l'évier.

Le réfrigérateur était rempli de provisions - jus d'orange, reste de pâtes carbonara, yogourt, fruits et légumes -, et plusieurs produits de base comme des cartons de lait étaient entreposés dans le congélateur, ce qui laisse penser que les fugitifs sortaient très peu et qu'un départ n'était pas imminent.

Les fugitifs ont également pu suivre la couverture médiatique sur le téléviseur à écran plat fixé au mur. De leur balcon, ils avaient une vue sur tout le centre-ville de Montréal.

Le condo est évalué à 450 000 $, selon le dernier rôle d'évaluation foncière. Le propriétaire compte maintenant vendre son unité. «Dans les circonstances, le prix sera revu à la baisse», a-t-il dit en soupirant.

Deux semaines de cavale

Après presque deux semaines en liberté, les prisonniers qui s'étaient évadés de la prison d'Orsainville, Yves Denis, Serge Pomerleau et Denis Lefebvre, ont été retrouvés dans un condo du Vieux-Montréal.

Retour sur leur cavale, en cinq dates.  

7 juin

Cinq minutes. C'est le temps qu'il a fallu à Yves Denis, Serge Pomerleau et Denis Lefebvre pour s'évader du Centre de détention de Québec. Vers 19 h 45, le samedi 7 juin, un hélicoptère s'est posé pour cueillir les trois détenus dans la cour intérieure, où 17 détenus étaient présents. Cette évasion spectaculaire marquait le début d'une cavale de deux semaines.

10 juin

Le plan d'évasion des trois détenus en cavale de la prison d'Orsainville était connu des autorités, ont rapporté La Presse et Le Soleil. On savait même qu'Yves Denis, Serge Pomerleau et Denis Lefebvre tenteraient le coup par hélicoptère. À l'Assemblée nationale, la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a réagi dans un climat de confusion. Une situation qui lui a attiré les critiques des partis de l'opposition.

12 juin

Comment les trois détenus ont-ils pu s'évader si facilement ? À Québec, c'est la confusion. Le premier ministre Philippe Couillard s'est dit insatisfait des informations contradictoires reçues par les fonctionnaires et les autorités policières. Il a déclenché une enquête administrative présidée par Me Michel Bouchard. De son côté, le Parti québécois a réclamé la démission de la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, qui s'est empêtrée dans des déclarations contradictoires.

13 juin

Le procès des trois prisonniers évadés ira de l'avant même s'ils ne sont pas présents en cour ni représentés par leurs avocats - ils ne veulent pas les représenter en raison d'une rupture du lien de confiance. C'est ainsi qu'en a décidé le juge Louis Dionne dans le dossier d'Yves Denis, Serge Pomerleau et Denis Lefebvre, qui font face à des accusations de meurtre.

22 juin

Après 15 jours en cavale, les trois évadés de la prison d'Orsainville ont été interceptés au petit matin dans un condo du Vieux-Montréal, où ils étaient cachés. Ils doivent comparaître aujourd'hui au palais de justice de Québec.

- Hugo Pilon-Larose