C'était dans les années 70. Yolande écoutait les nouvelles en repassant des vêtements. Elle a appris qu'un «dangereux détenu» était activement recherché par la police. Il venait d'abattre un gardien de prison lors d'une tentative d'évasion.

Ce dangereux détenu, c'était son frère. «À l'époque, j'avais de jeunes enfants, raconte Yolande, coquette septuagénaire aux cheveux argentés. Je me disais : mon Dieu, est-ce qu'il va venir me voir? En même temps, je me disais : mon Dieu, où est-il ? Est-il dans un trou? A-t-il faim, soif ?»

Sa soeur cadette, Micheline, était bouleversée elle aussi. «J'avais peur qu'il soit mal pris et qu'il vienne se cacher chez nous, raconte-t-elle devant une tasse de café. J'avais de jeunes enfants moi aussi. J'avais peur de la réaction de la police.»

Leur frère, Yves (nom fictif), baignait dans la criminalité depuis son plus jeune âge. Enfant turbulent, il était battu par son père. Il s'est mis à commettre des vols dans son quartier de l'est de Montréal. De délit en délit, il a abouti dans une prison pour adultes. «Et là, ils ne t'apprennent plus à faire de petits vols dans les maisons», souligne Micheline.

Devenu adulte, Yves ne s'est pas assagi. Il a fini par écoper d'une très lourde peine après avoir commis un vol à main armée. C'est alors qu'il purgeait cette peine qu'il a tenté de s'évader et tué le gardien de prison.

Pendant sa cavale, qui a duré quelques semaines, Yves a appelé sa soeur Micheline à quelques reprises. Les appels étaient courts. Il voulait simplement lui dire qu'il allait bien. Des voitures de police patrouillaient toujours près de chez Micheline, dans l'est de Montréal.

Les policiers ont fini par arrêter le fugitif. Il risquait la peine de mort, qui était toujours en vigueur au Canada.

Micheline était inquiète. Au Québec, les gardiens de prison maltraitaient son frère à un point tel qu'il a demandé à être transféré dans une prison de l'Ontario. «C'était une inquiétude totale, mais je n'avais personne à qui en parler, soulignet- elle. Mon mari, quand il prenait un verre, me disait qu'on était une famille de pourris. Il était quasiment content de savoir qu'Yves était victime de mauvais traitements.»

En même temps, Micheline, qui a toujours été proche d'Yves, avait honte. «Aussi honte que si c'était moi qui l'avais fait.» Pendant le procès, des clients du restaurant où elle travaillait disaient du mal de son frère. Micheline se taisait : elle ne voulait surtout pas que l'on sache qu'elle était sa soeur. Yolande, quant à elle, a confié sa détresse à deux amies, mais au travail, elle n'en parlait pas. «À l'époque, je travaillais dans un bureau à Mirabel.

Dans l'allée, il y avait des exemplaires du Journal de Montréal. C'était mon frère à pleine page. C'était écrit : Sera-t-il pendu ? Je me sentais bien petite.»

Yves, qui attendait dans le couloir de la mort, a finalement écopé d'une peine de prison à perpétuité quand la peine de mort a été abolie.

Dans les premières années, ses soeurs allaient le visiter au pénitencier, mais ça n'a duré qu'un temps. «Quand on allait le voir, il avait de la grande souffrance en lui, raconte Micheline. Il avait tellement de rage. Je sortais de là plus croche que quand j'entrais.»

Les années ont passé. Au milieu des années 90, Yolande a repris contact avec Yves pour lui annoncer qu'un de leurs frères était mort. Lorsque Micheline et elle ont revu Yves, dans un pénitencier de l'Ontario, elles ont constaté qu'il avait changé. Il s'était adouci. Il avait espoir, un jour, de recouvrer la liberté.

Yves est sorti de prison il y a quelques années. Il garde contact avec Micheline, Yolande et deux de ses frères, qui étaient d'abord réticents à le revoir.

«Il s'adapte bien dans la société, se prend en main, paie ses factures », dit Micheline, qui le voit toutes les semaines.

Micheline et Yolande, de leur côté, ont fait la paix avec leur passé.