Quelques semaines seulement avant d'être tuée par son père, sa mère et son frère aîné, Sahar Shafia a confié à un ami très proche qu'elle était enceinte, selon un nouveau livre-enquête portant sur le plus célèbre crime d'honneur de l'histoire canadienne.

Dans Without Honor, qui paraîtra demain, le journaliste ontarien Rob Tripp multiplie les révélations sur la vie de la famille au cours des années qui ont précédé le quadruple meurtre. Il a interrogé des dizaines de personnes impliquées dans le drame - notamment des camarades de classe des victimes - afin de reconstituer le fil des événements.

Un garçon, qui n'a pas été interrogé par la police, «m'a affirmé qu'il avait reçu un message de Sahar quelques semaines avant qu'elle soit tuée. Elle y disait: "Je suis enceinte, je porte le bébé de mon amoureux"», a raconté l'auteur, en entrevue avec La Presse. «Le médecin qui a pratiqué l'autopsie sur le corps de Sahar a affirmé que si elle avait subi un avortement tôt dans sa grossesse, il est possible qu'aucun indice de cet état ne subsiste.»

Tout n'a pas été dit

Le corps de Sahar Shafia, 17 ans, a été retrouvé au fond d'une écluse de Kingston le 30 juin 2009, avec celui de ses soeurs Zainab, 19 ans, et Geeti, 13 ans. La dépouille de la première femme de leur père, Rona Amir Mohammad, y était aussi. Les trois accusés ont été jugés coupables de meurtre en janvier dernier.

La possible grossesse de Sahar Shafia n'est pas le seul élément embarrassant de la vie des enfants Shafia qui est resté dans l'ombre au cours du procès, selon M. Tripp. Dans l'ouvrage, il révèle notamment que le personnel de l'école islamique fréquentée par l'un des fils Shafia, lorsque la famille vivait à Dubaï, a trouvé de la pornographie dans ses effets personnels. «Ce fut très embarrassant, très humiliant. Il s'est fait interdire de retourner dans cette école l'année suivante. Cela a pu contribuer à la décision de quitter le pays», a expliqué Rob Tripp.

L'identité de ce garçon est protégée par une ordonnance de non-publication.

Mariage cauchemardesque

Au cours du procès, on a raconté au jury le très court mariage de la soeur aînée, Zainab, avec son fiancé pakistanais, Ammar Wahid. L'union n'a duré qu'une journée, puisque son père Mohammad Shafia, l'a fait annuler le lendemain de la cérémonie.

Ce que le juge et les 12 jurés n'ont pas entendu, c'est que l'aîné de la fratrie a menacé la mariée en des termes extrêmement troublants le soir du mariage.

Dans une discussion avec sa soeur, Hamed aurait juré que «si le mariage se concrétisait et que Zainab partait avec son nouvel époux», «il tuerait toutes les personnes présentes» à la célébration. C'est ce qu'a confié Ammar Wahid à Rob Tripp. Le jeune homme d'origine pakistanaise a indiqué que c'est Zainab qui lui avait transmis directement ces propos.

Un portrait plus juste

«Ammar ne l'a pas raconté lors de son témoignage devant la cour, a souligné M. Tripp. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, il a affirmé qu'il avait un peu oublié. Qu'il était si intimidé par le procès et si nerveux qu'il avait mis cet élément de côté. [...] Il avait peur des Shafia. Sa famille lui avait dit: "Ne t'engage pas, nous avons peur que ça finisse avec ta mort".»

Ahmed Shafia purge maintenant une peine de prison à vie, comme sa mère et son père.

Si l'auteur est fier des nouvelles informations qu'il a réussi à découvrir à force de travail, il croit surtout que son livre donne un «portrait bien plus précis de la vie des victimes, particulièrement les deux filles aînées, Zainab et Sahar. Elles tentaient de vivre comme des adolescentes normales dans une situation complètement anormale».