Furieuse contre Bahar, sa fille de 19 ans, parce qu'elle avait passé la nuit dehors, Johra Kaleki lui a proposé de se reposer sur le sofa et de se laisser masser le dos. Bahar a accepté. «Et là, je l'ai poignardée au cou. Je lui ai dit: "C'est pour ton bien, laisse-moi faire..." Je voulais la poignarder à mort.»

C'est ce que Johra Kaleki a raconté, le soir du 13 juin 2010, lorsqu'elle a été interrogée par l'enquêteur Alexandre Bertrand, de la police de Montréal. Le drame était survenu le matin dans le domicile familial, à Dorval. La fin de l'interrogatoire, qui dure quatre heures, a été présentée au juge Yves Paradis, hier, au procès de Mme Kaleki. La femme de 40 ans est accusée de tentative de meurtre à l'égard de Bahar, aînée de ses quatre filles. La jeune femme a survécu à ses blessures.

Lors de l'interrogatoire, Mme Kaleki, qui est musulmane, a abondamment parlé des misères que sa fille lui donnait. Elle voulait inculquer ses valeurs à Bahar: pas de sorties le soir, pas de fréquentations avec les garçons, pas de sexe avant le mariage, pas d'alcool, pas de cigarette. Mais sa fille n'en faisait qu'à sa tête et voulait vivre sa vie comme elle l'entendait. «Fuck cette maison, fuck cette religion, fuck cette culture!», a un jour crié Bahar, lors d'une énième prise de bec avec sa mère.

Le vendredi 11 juin 2010, Bahar est sortie en disant qu'elle allait à la bibliothèque et qu'elle rentrerait avant 19h. Mais à 21h, elle n'était toujours pas là. Aux abois, sa mère a appelé son portable. Bahar a dit qu'elle allait bien et a demandé à sa mère d'arrêter de s'en faire avant de lui raccrocher au nez. Vers minuit, madame et son mari sont allés voir la police. L'agent en fonction ne pouvait rien faire puisque Bahar avait 19 ans et qu'elle était sortie de son plein gré. Il a recommandé à Mme Kaleki de rentrer à la maison et de se reposer. Sa fille allait sûrement revenir, a-t-il dit.

Bahar est arrivée vers 10h30 le matin. Le père a tenté de savoir où elle avait passé la nuit. Elle a raconté qu'elle avait couché chez des amies. La mère était furieuse. Des deux parents, c'est monsieur qui était le plus coulant. Il pensait qu'il était peut-être temps de donner de la liberté à Bahar. «Ici, ce n'est pas comme en Afghanistan», disait-il.

Mais la mère voyait cela comme un échec. Elle en voulait à sa fille. Elle a prié et demandé à Allah de donner la sagesse à sa fille.

Le couteau

Le samedi soir, Bahar est sortie de nouveau, en cachette. Elle n'est pas rentrée de la nuit. Quand elle est arrivée, le dimanche matin, son père l'attendait et a commencé à lui parler. Ils sont allés au sous-sol pour ne pas réveiller la maisonnée. Madame est descendue et a constaté que Bahar était «sale, fatiguée, qu'elle ressemblait à une zombie». Elle a dit qu'elle avait marché sur le boulevard Saint-Laurent, seule. «Tu nous prends pour des idiots? Es-tu une putain?», ont demandé les parents.

Le père s'est mis à pleurer. Mme Kaleki le considère comme un deuxième dieu, a-t-elle expliqué. «J'ai dit à mon mari: "Ne pleure pas, va en haut, je vais lui parler. Ne reviens pas avant que je t'appelle."» Elle est alors elle-même montée dans la cuisine pour s'emparer d'un couteau de boucher. Elle l'a caché sous son t-shirt et est descendue au sous-sol. Elle a dit à sa fille qu'elle l'aimait et lui a proposé un massage.

«Non! Non! Papa, aide-moi!», a crié Bahar quand sa mère s'est mise à la poignarder avec le couperet.

«Elle ne pouvait pas se défendre, elle a essayé de se sauver. J'ai essayé de l'étrangler», a raconté Mme Kaleki. Le mari est intervenu. Bahar s'est enfuie dans une chambre et a appelé le 911.

Le procès se poursuit aujourd'hui. Il est à noter que la défense conteste l'admissibilité de cette déclaration, au motif que l'accusée était dérangée mentalement. La psychiatre Dominique Bourget, qui avait témoigné pour la défense au procès de Guy Turcotte, viendra donner son avis sur l'état mental de Mme Kaleki.