Les armes à feu font des ravages à Toronto: le nombre de personnes atteintes par des tirs a augmenté de 57% depuis janvier et plusieurs citoyens ont été touchés par des balles perdues. Alors que le maire doit rencontrer aujourd'hui le premier ministre ontarien pour discuter d'une solution, des citoyens ont la désagréable impression de revenir à une époque de violence qu'ils croyaient révolue.

Le jeune homme secoue la tête en regardant le fossé devant l'église et la garderie où il fait du bénévolat, dans le quartier torontois de Scarborough. Des policiers en ont retiré le corps d'un jeune homme dans la vingtaine, assassiné au cours de la nuit. Ils passent maintenant l'herbe au peigne fin, à la recherche d'indices.

«C'est inquiétant. Il y a eu un gars poignardé cette semaine un peu plus loin. Et la fusillade au barbecue. Comme si tout arrivait en même temps», laisse tomber Arun Sithamparapillai, que La Presse a rencontré hier.

Près des lieux où des crimes ont été commis dans les derniers jours, des gens tentent toujours de comprendre ce qui se passe dans leur ville.

Il y a exactement une semaine, une fusillade a éclaté au beau milieu d'une fête de quartier, un barbecue familial organisé dans le secteur de Scarborough. La police croit que des gangs se seraient affrontés, tirant à qui mieux mieux sans se soucier des citoyens innocents qui se trouvaient là. Une adolescente de 14 ans et un jeune homme de 23 ans, tous deux sans histoire, ont été tués, et plus d'une vingtaine de personnes ont été blessées.

Le drame a eu un effet traumatisant. Le chef de police a parlé du «pire cas de violence armée dans l'histoire de la ville».

L'arrêt d'autobus situé à côté du lieu de la fusillade a été transformé en monument à la mémoire des disparus. Il est complètement rempli de cierges, d'animaux en peluche, de dessins d'enfants, de lettres et de fleurs. Autour, certains prient, d'autres fixent le sol en silence.

«Je suis pétrifiée. Des choses comme ça ne devraient pas arriver, des innocents pris entre deux feux. J'ai quitté Belfast, en Irlande du Nord, pour trouver la paix, mais parfois on dirait que c'est pire ici», laisse tomber Pat Parker, une sexagénaire installée dans le quartier depuis plusieurs années.

Les deux jeunes disparus ne sont pas les premières victimes de balles perdues cette année. Les balles n'ont cessé de siffler dans les endroits publics de la Ville reine dans les derniers mois. Le 2 juin, une fusillade a éclaté au beau milieu du centre Eaton. Deux hommes liés aux gangs de rue sont morts et cinq clients ont été blessés.

Scénario semblable le 18 juin: un homme lié au crime organisé a été tué en plein jour dans un café de la Petite Italie. Un autre client, qui n'était pas lié à l'homme, a été blessé. Et dans les derniers jours, quatre autres personnes ont été blessées dans trois incidents violents. Vendredi, un homme a reçu un projectile à tête. Un autre a été atteint à l'abdomen samedi matin.

«L'année du fusil»

Les autorités répètent que la criminalité est en baisse à Toronto depuis des années, selon les statistiques. Après 2005, que les médias avaient baptisée «l'année du fusil» en raison de son bilan particulièrement sanglant, plusieurs mesures ont été prises pour faire diminuer la criminalité. De vastes enquêtes policières ont permis d'arrêter les membres de gang les plus actifs, et des sommes importantes ont été allouées aux programmes sociaux dans les quartiers jugés «prioritaires», comme Scarborough. Au fil des ans, les initiatives ont semblé porter leurs fruits.

Mais les chiffres officiels de la police montrent que 2012 connaît jusqu'à maintenant un regain de violence: hausse de 73% des crimes par arme à feu sans mort ni blessé, hausse de 57% du nombre de victimes d'armes à feu et augmentation de 15% du nombre d'homicides. Et les communautés culturelles sont particulièrement touchées: selon des chiffres compilés par le National Post, 71% des victimes d'homicide à Toronto ne sont pas des Blancs.

Selon Amiga Taylor, tout ça a une désagréable impression de déjà-vu. En 2007, son demi-frère Emphraim Brown, 11 ans, a été atteint d'une balle perdue lors d'une fusillade entre gangs. Amiga Taylor a eu la nausée lorsqu'elle a appris que deux jeunes gens étaient morts de la même façon à Scarborough il y a une semaine.

«C'était exactement pareil, un barbecue, une balle perdue, j'ai eu mal au coeur en entendant ça. Nous revivions la même chose, c'est fou!», a dit Amiga Taylor.

Son amie Mskemi Omololu-Olunloyo, qui milite aux côtés des victimes de crime, dénonce sur toutes les tribunes les jeunes caïds qui tirent en public. Elle affirme que des citoyens ont reçu des messages annonçant que les Galloway Boys, le gang qui avait semé la terreur en 2005, sont de retour.

«C'est pareil comme à l'époque, ils n'ont aucun respect pour rien, ils veulent juste prouver qu'ils sont les plus forts et n'ont aucun égard pour la vie humaine», peste-t-elle.

Mais malgré la douleur, Amiga Taylor demeure capable d'empathie envers ceux qui ont tué son frère et ceux qui ont fait la même chose lundi dernier à Scarborough. «Cette absence de respect pour la vie des autres ne peut venir que d'un manque de respect pour leur propre vie. S'ils s'étaient sentis bien et en sécurité, ils n'auraient probablement pas été armés», laisse-t-elle tomber.

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Un été de plomb

2 juin > Une fusillade éclate dans le centre Eaton. L'endroit est bondé. Cinq clients sont touchés et d'autres sont blessés dans la panique qui suit. Deux hommes liés aux gangs de rue perdent la vie.

18 juin > Un homme lié au crime organisé est tué dans un café bondé de la Petite Italie pendant un match de l'Euro. Un autre client est blessé.

1er juillet > Un homme est abattu en public pendant la présentation des feux d'artifice de la fête du Canada.

16 juillet > Une fusillade éclate dans une fête de quartier. Shyanne Charles, 14 ans, et Joshua Yasay, 23 ans, sont tués. On compte une vingtaine de blessés.

17 juillet > Un homme de 42 ans est tué par balle dans un stationnement près d'un terrain de soccer. Son frère est accusé du meurtre.

19 juillet > Un homme de 27 ans est atteint mortellement d'un projectile d'arme à feu sur le terrain d'une école.

20 juillet > Deux jeunes de 21 et 19 ans sont découverts blessés par balle, l'un au bras et l'autre à la jambe. Ailleurs en ville, un homme atteint d'une balle dans la tête se trouve entre la vie et la mort.

21 juillet > Un quadragénaire survit après avoir été atteint de deux coups de feu au ventre.

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57% Hausse du nombre de victimes d'arme à feu par rapport à l'an dernier à pareille date (80 personnes de plus);

73% Hausse du nombre de crimes par arme à feu sans mort ni blessé;

15% Hausse du nombre d'homicides par rapport à l'an dernier à pareille date.