La Gendarmerie royale du Canada (GRC) et les procureurs de la Couronne tentent de tirer les leçons de l'affaire Shafia par une série d'initiatives visant à détecter les crimes d'honneur, a appris La Presse.                                                                

Dans la foulée de l'affaire Shafia, des policiers de la GRC, des procureurs de la Couronne et des représentants de Justice Canada ont reçu une formation sur les crimes d'honneur et les mariages forcés, indiquent des documents obtenus par la Loi sur l'accès à l'information.

«Malgré un manque de données crédibles (la plupart de ces crimes ne sont pas rapportés en raison de la honte et de la peur de représailles), il est évident que des crimes d'honneur et des mariages forcés se produisent au Canada», résume un courriel interne de la GRC, daté du 31 mars 2011.

Selon ce document, au moins 13 crimes d'honneur sont survenus depuis 10 ans au Canada - le chiffre réel est sans doute plus élevé, convient la police fédérale.

Les quatre victimes du plus connu de ces crimes étaient des Montréalaises d'origine afghane, qui ont été trouvées noyées dans une voiture au fond d'une écluse à Kingston, en Ontario, le 30 juin 2009. Mohammad Shafia, sa femme Tooba Yahya et leur fils Hamed ont été déclarés coupables, le 28 janvier dernier, du meurtre de trois des filles du couple et de la première femme de M. Shafia. Ces femmes ont été tuées parce qu'elles avaient prétendument sali «l'honneur» de la famille, selon la preuve déposée en cour.

Pour éviter que des crimes semblables se produisent de nouveau - et pour en trouver les coupables -, des représentants canadiens ont notamment assisté à une vidéoconférence avec des policiers du pays de Galles du Sud, au Royaume-Uni, qui ont fait une priorité de la lutte contre les crimes d'honneur. Pour protéger des femmes enrôlées de force dans un mariage, les autorités britanniques vont jusqu'à les aider à changer de nom et à déménager dans une autre région ou même un autre pays, selon un document de la GRC.

Du pain sur la planche

La cinéaste Raymonde Provencher a lancé en mai dernier Ces crimes sans honneur, documentaire sur les crimes d'honneur au Canada et ailleurs dans le monde. Elle est convaincue que toutes les professions - policiers, psychologues, travailleurs de la Direction de la protection de la jeunesse, enseignants, directeurs d'école - sont mal préparées à lutter contre les crimes d'honneur.

Pour son film, elle est allée filmer des policiers de York, banlieue multiethnique de Toronto où vit une importante communauté musulmane et hindouiste. En voyant une femme qui arborait un oeil tuméfié, battue pour avoir «sali» l'honneur de sa famille, «les policiers avaient l'air troublé comme s'ils n'avaient jamais entendu parler de crimes d'honneur».

«Si les policiers de York ne sont pas au courant [de l'existence des crimes d'honneur], qu'est-ce que ça doit être dans le reste du Canada?», dit Raymonde Provencher.

«Combien de cas sont passés entre les mailles du filet depuis 20 ou 25 ans? ajoute-t-elle. Il s'agit pourtant de prêter assistance à des femmes et à des filles en danger de mort.»

Les policiers de Galles du Sud ont créé un protocole unique pour enquêter sur les disparitions et sur les suicides de femmes et de filles, qui peuvent camoufler des crimes d'honneur. Le plus difficile a été d'obtenir la confiance et la collaboration des communautés pour leur faire reconnaître que les crimes d'honneur existent, explique le rapport de la GRC.

«Les crimes d'honneur, c'est quelque chose avec lequel on n'est pas très familiers. On est en train de créer une procédure pour aider les policiers et les procureurs de la Couronne à travailler ensemble de façon efficace», confirme l'inspecteur Stéphane Drouin, directeur de l'apprentissage et du perfectionnement à la GRC.

- Avec la collaboration de William Leclerc