Condamné pour le meurtre prémédité de sa conjointe, l'ex-juge Jacques Delisle n'a pas dit son dernier mot. En demandant sa libération provisoire pour la durée des procédures d'appel, son avocat s'est livré aujourd'hui à une charge à fond de train contre la couronne, qu'il accuse d'avoir favorisé un verdict déraisonnable au procès par sa conduite «scandaleuse», «cynique», «arriviste» et «opportuniste».

Me Jacques Larochelle a argumenté pendant plus de trois heures devant le juge de la Cour d'appel Richard Wagner, qui devrait décider cette semaine s'il remet l'appelant en liberté.

L'avocat a qualifié de « pitoyable » certaines expertises réalisées pour la poursuite, et a martelé plusieurs fois que le jury est arrivé à un verdict déraisonnable en concluant que l'ancien magistrat a tué sa conjointe Nicole Rainville d'une balle à la tête. Cette hypothèse est «ridicule et odieuse» a-t-il dit.

Plus les motifs d'appels semblent fondés, plus ils peuvent faire pencher la balance en faveur d'une remise en liberté, notamment pour éviter de garder en prison un citoyen qui serait déclaré innocent par la suite.

Spéculations

Me Larochelle a prétendu que le jury n'a pas été assez informé du fait que les expertises balistiques constituaient la preuve centrale de toute l'affaire. Ces expertises sont celles qui permettent de déterminer si la victime s'est suicidée ou a été tuée, mais la couronne ne s'y est pas assez attardée, préférant le domaine des ragots et des spéculations, selon la défense.

«Il est connu qu'un procureur qui s'adresse à un jury doit être moral, il ne doit pas être cynique, arriviste et opportuniste, il doit s'adresser à la raison plutôt qu'aux émotions ou aux préjugés», a-t-il lancé.

«S'il y a un danger avec un jury, c'est qu'il cesse d'être rationnel. Il faut se prémunir contre ce danger et non pas l'appeler de tous ses efforts comme l'a fait la couronne dans sa plaidoirie»

Il a déploré que le procureur de la couronne Steve Magnan ait traité l'expert en balistique de la défense comme «le pire monstre qui ait jamais vécu». L'expert français était le seul à dire que la victime a été atteinte d'un tir perpendiculaire, ce qui concorderait avec la thèse du suicide. Trois autres experts ont plutôt parlé d'un tir à angle.

Me Larochelle soutient aussi que le juge Claude Gagnon n'a pas bien aidé le jury à apprécier la preuve et a commis une « épouvantable erreur » en ne rappelant pas à l'ordre la couronne.

Détention pénible

La vie en prison est particulièrement pénible pour un ancien juge en raison de son statut d'ancien représentant de l'ordre, a souligné l'avocat.

«Il ne faudrait pas que son statut très particulier, peut-être unique dans les annales judiciaires, le défavorise, parce que vous craindriez que le public croit que vous le favorisez», a-t-il ajouté à ce sujet.

De son côté la Couronne s'est opposée à la remise en liberté de Jacques Delisle. Pour elle, il est peu probable que la Cour d'appel en vienne à décréter que le verdict du jury était déraisonnable.

Quant aux erreurs de droit alléguées par la poursuite, sans le reconnaître, elle ne croit pas qu'elles auraient été fatales à la cause de toute façon.

La procureure de la couronne Sarah-Julie Chicoine s'est dite étonnée par les propos de la défense au sujet du jury, qui a délibéré en secret pendant plus de deux jours.

«Qui sommes-nous, aujourd'hui, pour dire qu'ils n'ont pas assez réfléchi, qu'ils ont juste pris deux jours et demi, qu'ils n'ont pas fait ça avec sérieux ? Est-ce qu'on va dire que maintenant ils sont obligés de prendre cinq jours de délibérations parce que sinon ce n'est pas sérieux?» a-t-elle lancé.