Mohamed Merah serait l'archétype de la nouvelle menace terroriste qui cause des sueurs froides à tous les services de renseignement occidentaux. Au Québec, des suspects au profil semblable sont identifiés et neutralisés chaque année, dans le plus grand secret, a appris La Presse.

On les appelle les loups solitaires. Ils agissent seuls ou au sein d'une microstructure. Ils peuvent être d'extrême droite ou islamistes. Dans ce dernier cas, ils ont tendance à se radicaliser au contact d'individus charismatiques, en prison, ou en furetant sur des sites internet et des forums jihadistes et non plus dans certaines mosquées réputées pour leur affiliation salafiste.

C'est souvent grâce à cette hyperactivité 2.0 qu'ils peuvent être démasqués par les policiers chargés de surveiller le web. Said Namouh, de Maskinongé, qui voulait commettre un attentat suicide, en est un exemple. «Avec notre sang nous allons noyer les méchants, si Dieu le veut», s'est-il vanté dans un message intercepté.

Certains ont séjourné en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen ou en Somalie. Ils sont retournés dans leur pays de résidence où ils évitent de se faire remarquer jusqu'au moment où ils lancent l'attaque.

Cette «menace éclatée», pour reprendre ce que l'ex-juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière a dit à La Presse, est en train de remplacer le modèle de la cellule terroriste organisée des années 90. Elle est aussi efficace.

«Des attaques à l'arme légère peuvent aussi bien terroriser la population que les attentats d'envergure meurtriers, rappelle Tahera Mufti, du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Un réseau terroriste vaste ou avancé n'est pas nécessaire pour causer de terribles dommages et semer la peur.»

Les «Afghans»

Combien y a-t-il de loups solitaires potentiels au Québec? Difficile à dire. Il y a cinq ans, une dizaine «d'Afghans», surnom donné à ceux qui avaient séjourné dans un camp d'Al-Qaïda en Afghanistan ou au Pakistan, ont été ciblés dans la région de Montréal. Chaque année, en moyenne, un ou deux nouveaux suspects sont identifiés par les policiers antiterroristes, rencontrés puis fichés comme l'était Merah en France. Des propos haineux sur le web, des informations obtenues de l'étranger ou l'équation «passé plus potentiel» conduisent souvent ces individus sur le radar policier.

Mais il est difficile de les surveiller 24 heures sur 24.

Le SCRS surveille environ 200 individus, toutes idéologies confondues, au Canada. Ce chiffre inclut probablement des personnes condamnées pour terrorisme à l'étranger et qui sont retournées depuis au Québec, ainsi que celles arrêtées en vertu d'un certificat de sécurité. Quant à la GRC, elle a mené 106 enquêtes terroristes depuis 2001. Et la police de New York a détaché un de ses experts de la lutte contre le terrorisme à Montréal.

À plusieurs reprises au cours des derniers mois, le Centre intégré d'évaluation des menaces (CIEM) a lancé plusieurs «alertes».

Dans des rapports classés «secrets», on s'inquiète d'«éventuels attentats [en Europe] [...] perpétrés par des citoyens européens naturalisés qui se sont rendus en Afghanistan ou au Pakistan et qui ont été entraînés par Al-Qaïda ou des organisations affiliées».

On relate que des «sites islamistes [...] encouragent avec plus d'insistance les islamistes occidentaux à mener des attentats indépendants de petite envergure [...] dans leur ville».

En janvier 2011, le CIEM, citant des «sources talibanes bien placées», a indiqué que 12 Canadiens «s'entraînent au jihad dans les camps d'Al-Qaïda au Nord-Wazistan [zone tribale pakistanaise où aurait séjourné Mohamed Merah] en vue de mener des attaques au Canada».