Qu'un cycliste reçoive une contravention pour ne pas avoir respecté un stop, d'accord. Mais qu'en plus il perde trois points à son permis de conduire, n'est-ce pas exagéré et injuste?

Deux cyclistes échaudés, Alexis Lamy-Labrecque, étudiant de 19 ans, et Roger Jay, 61 ans, designer et installateur de chaînes haute-fidélité, pensent que oui. Ils viennent d'entreprendre un combat judiciaire dans l'espoir de faire changer la loi.

Beaucoup de gens l'ignorent toujours, mais les infractions au Code de la sécurité routière commises à vélo se répercutent sur le permis de conduire.

«C'est complètement absurde et injuste», s'offusque Me Julius Grey, qui pilote ce dossier avec Me Véronique Cyr. Ces derniers demandent à la Cour supérieure de déclarer que la perte de points d'inaptitude au permis de conduire ne s'applique que pour les infractions commises à bord de véhicules exigeant le permis de conduire. Or, nul besoin de permis pour rouler à vélo, un moyen de locomotion qui n'a par ailleurs pas à être immatriculé, rappellent les avocats.

Panneau d'arrêt

Le 6 novembre 2009, à 7h30, Alexis Lamy-Labrecque, alors âgé de 17 ans, roulait en BIXI pour se rendre au cégep du Vieux Montréal quand il a omis de s'arrêter à un stop à l'angle de la rue Duluth et de l'avenue de l'Hôtel-de-Ville. Une voiture l'a percuté. «Je ne l'ai jamais vue arriver. J'ai fait un vol plané, mais j'ai eu énormément de chance. Le poids du vélo et l'ordinateur que j'avais dans le dos ont amorti le choc», raconte le jeune homme.

Dans l'ambulance, Alexis s'est vu remettre une contravention par un policier, qui l'a aussi avisé qu'il allait perdre trois points à son dossier de conduite. Le jeune homme, qui n'a heureusement pas été blessé sérieusement, a plaidé coupable récemment à la cour municipale de Montréal et a payé l'amende. Comme il est un jeune conducteur, il ne dispose que de 8 points au lieu de 15. Les trois points perdus à vélo font en sorte que son permis est révoqué, car il avait perdu six points pour des infractions commises au volant.

L'autre cycliste, Roger Jay, a reçu une contravention le 13 août dernier, lui aussi pour avoir omis de respecter un stop. Outre l'amende, trois points d'inaptitude ont été inscrits à son dossier de conducteur. En décembre, au moment de renouveler son permis de conduire, il a appris que celui-ci allait lui coûter 94$ de plus en raison des points perdus.

«C'est une peine discriminatoire. Il n'y a aucune justification raisonnable pour qu'une infraction commise à bicyclette ait un impact sur le dossier de conduite», dit M. Cyr. C'est un fait: ceux qui ont un permis sont plus pénalisés que ceux qui n'en ont pas. Mais attention, les points d'inaptitude restent en suspens pour un certain temps. Ainsi, un nouveau demandeur de permis de conduire qui a eu une contravention à vélo commencera sa vie de conducteur avec des points en moins, confirme Audrey Chaput, porte-parole de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ). Cela touche même les adolescents, car il n'y a pas d'âge minimum pour écoper d'une contravention à vélo.

Mme Chaput ne peut dire combien d'automobilistes sont pénalisés chaque année par des contraventions reçues à vélo. «Il n'y a pas de statistiques pour ça. Les points sont des points, on ne sait pas dans quelles circonstances c'est arrivé.»

Vélo Québec appuie la contestation

À Vélo Québec, on est bien au fait de la situation. «Il y a une dizaine d'années, on a contesté cela auprès de la Société de l'assurance automobile du Québec, mais ils n'ont rien voulu savoir. C'est inadmissible, ça crée deux classes d'usagers», estime Suzanne Lareau, PDG de l'organisme.

Vélo Québec appuie la contestation judiciaire qui s'amorce. Au Québec, les cyclistes sont soumis aux règles du Code de la sécurité routière, conçu pour les véhicules routiers. Un code qui n'a pas connu d'important changement depuis 30 ans et qui aurait bien besoin d'être dépoussiéré pour tenir compte des nouvelles réalités urbaines, croit Mme Lareau. De plus en plus de gens roulent à vélo, même pour aller au travail. Les effets bénéfiques sont indiscutables, mais le Code, lui, reste rigide.

Mme Lareau donne l'exemple de la zone piétonne de la rue Prince-Arthur. «Je reçois des plaintes de cyclistes qui reçoivent des contraventions à 8h le matin. Il n'y a aucune nuance, c'est interdit tout le temps, 365 jours par année», dit-elle. Elle se demande aussi pourquoi on ne permettrait pas aux cyclistes de rouler au pas dans les zones piétonnes.

C'est ce qui se fait en Belgique, où les autorités ont mis au point un «code de la rue». Selon ce code, le plus fort doit adapter sa conduite en fonction du plus vulnérable, du chauffeur de camion à l'automobiliste, au cycliste et au piéton. Ce code autorise aussi les cyclistes à circuler à contresens dans les petites rues, signale Mme Lareau.

La perte de points d'inaptitude à vélo a des conséquences étonnantes. François Noël, un jeune homme qui roule beaucoup à vélo, a perdu six points. Par choix, il n'a pas de voiture, préférant utiliser Communauto. Or, ses six points perdus à vélo l'empêchent maintenant de louer une voiture de Communauto, où on a fixé la limite à cinq points d'inaptitude, confirme Monique Jasmin, adjointe administrative. Pour les conducteurs comptant moins de 72 mois d'expérience, la limite est de deux points.