Expulsé du Canada lundi, Léon Mugesera a atterri à Kigali hier, peu avant minuit, heure locale.

À son arrivée, il a été officiellement arrêté par la police rwandaise, qui l'a conduit dans une prison réservée aux criminels de guerre.

M. Mugesera sera interrogé aujourd'hui pour la première fois par les autorités de son pays et aura sa première comparution en cour «d'ici 10 jours», selon le procureur général Martin Ngoga.

«C'est début d'une nouvelle ère et la fin de 16 ans d'impunité», dit-il.

Journalistes, victimes du génocide et curieux ont attendu pendant plusieurs heures sur le tarmac de l'aéroport international de Kigali, hier, avant de voir arriver un avion nolisé, décoré du drapeau canadien, duquel M. Mugesera est sorti.

«Il avait l'air hésitant, choqué et perdu», décrit le journaliste James Munyaneza, du quotidien rwandais New Times.

Vêtu d'une veste d'hiver, les mains menottées, il s'est rapidement engouffré dans une voiture «VIP», selon le journaliste.

Si Léon Mugesera a quitté son pays il y a près de 20 ans, les Rwandais n'ont pas oublié son discours incitant au génocide de 1992, ni le long feuilleton judiciaire qui l'a opposé aux autorités canadiennes pendant 16 ans.

Incitation au génocide

Martin Ngoga ne peut préciser quelles seront les accusations déposées contre M. Mugesera. Mais l'incitation au génocide en fera «inévitablement» partie.

«Pour nous, son discours de 1992 incite au génocide», dit-il.

Chose certaine, ce procès sera à la hauteur des normes internationales, dit le procureur.

Jusqu'à lundi, Léon Mugesera a plaidé qu'il risquait la torture au Rwanda, où il est recherché depuis 1992.

Guy Bertrand, qui l'a représenté jusqu'au mois de décembre, a conseillé à son ancien client de ne pas faire appel à un avocat rwandais qui, selon lui, pourrait être acheté par le pouvoir politique. Mais plusieurs experts saluent la tenue au Rwanda d'un procès lié au génocide de 1994.

«Les génocides n'arrivent pas dans des pays dotés d'un système judiciaire très développé. Au lieu de dire qu'on ne peut renvoyer personne, on devrait plutôt aider ces pays à construire leur capacité à juger ces crimes. Et il y a eu beaucoup d'aide pour le Rwanda», dit Payam Akhavan, professeur à la faculté de droit de McGill.

Ce procès hautement attendu va créer un précédent pour les tribunaux rwandais, estime Frank Chalk, directeur de l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne de l'Université Concordia.

Un exemple pour les conservateurs

Près de 24 heures avant le départ de M. Mugesera, le gouvernement est sorti de son silence. Le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, s'est ainsi félicité du renvoi d'un «criminel de guerre» qui a longtemps abusé de la justice canadienne.

«Les criminels ont droit à un procès, mais ils n'ont pas le droit d'abuser du système. Tout le monde a droit à sa journée au tribunal. M. Mugesera y a passé 17 ans», dit-il.

M. Kenney a profité de l'occasion pour annoncer que son gouvernement prendra de nouvelles mesures pour faciliter le renvoi de «criminels de guerre» et «terroristes» qui, comme M. Mugesera, multiplient les procédures pour éviter l'expulsion. Leon Mugesera a obtenu l'asile au Canada en 1992. Mais le gouvernement tente de l'expulser depuis 1995. La Cour suprême donne son aval à un renvoi en 2005. Il faut ensuite sept ans au Canada pour jauger les dangers que court M. Mugesera dans son pays, et conclure, à la fin de 2011, qu'il peut y être renvoyé. La femme de M. Mugesera et leurs cinq enfants vivent toujours au Canada.