«Mon film tourne en boucle.» Robert (nom fictif) n'a pas oublié le viol dont il a été victime à l'âge de 10 ans ni le traumatisme de cette agression. Son agresseur, frère de Sainte-Croix, a continué à sévir pendant deux décennies dans les établissements scolaires de la congrégation.

Cinquante ans plus tard, Robert a retrouvé des dizaines de victimes de certains frères, dans le cadre du recours collectif intenté contre la congrégation de Sainte-Croix. Malgré les indemnisations, il reste persuadé que justice n'a pas été rendue. La congrégation a reconnu les agressions subies par les enfants dans trois de ses établissements, mais elle n'a jamais entrepris d'action contre les agresseurs, dont certains sont toujours vivants.

La congrégation de Sainte-Croix a accepté, en octobre dernier, de verser 18 millions de dollars aux élèves qui ont été victimes d'agression au collège Notre-Dame de Montréal, au collège Saint-Césaire et à l'école Notre-Dame de Pohénégamook, sans délai de prescription. Parallèlement à cette démarche, une enquête policière était toujours en cours sur au moins deux religieux. Mais aucune n'a débouché sur des accusations criminelles.

On comprend que c'est plus efficace d'enquêter sur des crimes commis il y a 24 heures plutôt que sur des crimes commis il y a 24 ans. Néanmoins, le recours collectif court jusqu'en 2001 pour le collège Notre-Dame. Il y aurait eu des gestes commis jusqu'à ce moment-là. Ce n'est pas de l'histoire ancienne, pour nous», dit Carlo Tarini, président de l'Association des victimes de prêtres.

La congrégation continue à protéger les agresseurs. Ils peuvent rester entre eux, sortir. Pour moi, il n'y a pas de justice, actuellement», regrette Robert.

Pourtant, les hautes instances de la congrégation ont toujours su que des pédophiles sévissaient dans leurs rangs. En font foi de nombreux documents internes transmis il y a trois ans aux médias, notamment à Sue Montgomery, journaliste à The Gazette.

Ça démontre la culture du silence et le fait que [les sévices] étaient aussi banals que l'adoption de l'ordre du jour dans un conseil d'administration», dit Sébastien Richard, ancien élève du collège Notre-Dame et qui affirme avoir été victime du frère Claude Hurtubise. En 2004, M. Hurtubise a été jugé pour attentat à la pudeur, mais il a finalement été acquitté pour doute raisonnable.

Wilson Kennedy a passé 21 ans dans la congrégation. C'est lui qui a publiquement révélé la culture du secret des frères de Sainte-Croix à The Gazette. Cela lui a valu deux mises en demeure par l'avocat de la congrégation, qui l'a accusé de mentir pour nuire à son ancienne communauté.

Au début de cette histoire, j'étais le menteur. J'ai eu des mises en demeure, et je n'ai jamais eu d'excuses», déplore-t-il.

Il estime que les excuses officielles présentées aux victimes par le père Jean-Pierre Aumont sonnent faux. Les agressions sexuelles et les actes de pédophilie étaient, selon lui, un secret de Polichinelle dans la communauté.

Enfant, Wilson Kennedy a lui-même été agressé par un prêtre, mais il a cru que la vie religieuse lui permettrait de trouver la paix.

C'est plutôt l'inverse qui s'est produit, dit-il. Il a même été agressé par un de ses coreligionnaires. Avant de quitter la congrégation, il a essayé d'en faire réagir les autorités. En vain.

On a essayé de me faire croire que ce n'était pas important, dit-il. On ne voulait pas voir nos péchés. On préférait payer.»

Ironiquement, c'est le refus des frères de Sainte-Croix de présenter une lettre d'excuses à la famille de René Cornellier, ancien élève de Notre-Dame mort en 1994 après avoir lui-même tenté d'en obtenir, qui a donné naissance aux démarches pour le recours collectif.

Il aura fallu attendre la fin de l'année 2010 et de nouvelles révélations à l'émission Enquête pour que la congrégation accepte de négocier un règlement à l'amiable.

En réponse à La Presse, le supérieur provincial de la congrégation, Jean-Pierre Aumont, écrit que les «religieux condamnent vigoureusement toute forme d'inconduite commise par des personnes en situation d'autorité». «Des préjudices ont été causés, et nous avons pris les dispositions pour les réparer», conclut-il.