Québec a déposé vendredi son projet de loi visant à rendre plus transparentes les enquêtes sur des policiers impliqués dans des interventions se soldant par une mort ou une blessure grave. Nous vous présentons aujourd'hui l'histoire de trois familles qui ont vécu la réalité de ces enquêtes, dont la crédibilité a été mise à mal au cours des dernières années.

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Une troublante histoire de famille

Il pleuvait des cordes, cette nuit-là. Gladys Tolley avait passé la soirée chez sa fille, qui habitait juste en face, dans la réserve algonquine de Kitigan Zibi, près de Maniwaki.

En traversant la route 105 pour rentrer chez elle, vers 23h35, la grand-mère de 61 ans a été heurtée de plein fouet par une voiture en patrouille de la Sûreté du Québec.

Elle est morte sur le coup. C'était le 5 octobre 2001. Dix ans plus tard, sa fille Bridget Tolley cherche toujours des réponses à ses questions. Elle a cogné à toutes les portes. Partout, elle s'est heurtée à un mur de silence.

Or, les questions qu'elle soulève sont troublantes.

Pourquoi a-t-on chargé le sergent Michel Chalifoux, de la Sûreté du Québec (SQ), de préserver la scène de l'accident... en sachant qu'il s'agissait du frère de Serge Chalifoux, le caporal qui était au volant de la voiture?

L'enquête a été confiée au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), comme l'exige la pratique, afin d'assurer son impartialité. Or, il a fallu huit heures aux enquêteurs du SPVM pour se rendre sur les lieux de l'accident.

Quand ils sont arrivés, à 7h45, le corps de Gladys Tolley avait été déplacé par leurs confrères de la SQ depuis plusieurs heures. La règle exige pourtant que la scène soit préservée jusqu'à l'arrivée des enquêteurs.

Ces derniers se sont rendus aux bureaux de la SQ de Maniwaki. Là, c'est le sergent Michel Chalifoux qui leur a fait un résumé de l'accident, selon des documents du SPVM et de la SQ que La Presse a consultés.

«Il ne restait plus rien de la scène. La SQ avait déjà tout fait. Elle a fait enquête sur elle-même. Voudriez-vous que le frère du policier ayant tué votre mère soit responsable de la scène de l'accident? C'est absurde», dit Bridget Tolley en ravalant ses larmes.

«Nous avons nos propres policiers à Kitigan Zibi. Ce sont eux qui auraient dû protéger le corps et la scène. C'était leur juridiction. Les agents de la SQ auraient dû être amenés aux abords de la scène, derrière les cordons policiers, comme nous, les membres de la famille. Je n'ai même pas pu voir ma mère cette nuit-là.»

Elle a demandé à rencontrer les représentants de la SQ, sans succès. «Ils ne sont pas venus aux funérailles, ils n'ont jamais présenté d'excuses. Cela fait 10 ans et ils ne nous ont même jamais parlé. Aucun d'entre eux.»

En 2010, Québec a refusé de déclencher une enquête indépendante sur la mort de Gladys Tolley, comme le réclamaient plusieurs groupes, dont Amnistie internationale et l'Assemblée des Premières Nations.

Il pleuvait des cordes cette nuit-là, et Gladys Tolley avait bu. Sa fille ne le nie pas. Mais elle a été dégoûtée par la lecture du rapport du SPVM, qui blanchit le patrouilleur de la SQ. «Une fois de plus, on nous fait passer pour les Indiens ivrognes, les Indiens dont tout le monde se moque. C'est ce qu'on a fait à ma mère. Un autre n'aurait pas subi le même sort.»