Les conséquences imprévues de la consommation de stupéfiants ne constituent pas une défense d'aliénation mentale valide. Dans une décision unanime rendue publique mercredi matin, la Cour suprême du Canada a maintenu la condamnation de Tommy Bouchard-Lebrun pour voies de faits graves.

Sous l'effet d'ecstasy et d'amphétamines, le jeune homme avait sévèrement battu un sexagénaire en pleine nuit dans un immeuble d'Amqui.

Il avait expliqué lors de son procès qu'il se trouvait dans un état de psychose temporaire induit par l'influence négative d'un ami. M. Bouchard-Lebrun et Yohan Schmouth, tous deux âgés de 20 ans, s'étaient introduits dans une résidence pour battre un homme qu'ils identifiaient à l'antéchrist dans leur délire parce qu'il aurait porté une croix à l'envers.

Finalement, c'est Roger Dumas, un voisin de 61 ans qui a tenté d'intervenir, qui s'était fait battre. L'accusé l'aurait poussé en bas d'un escalier et lui aurait asséné au moins un coup de pied à la tête. M. Dumas a subi des dommages irréparables au cerveau et au corps et est devenu impotent avant de mourir du cancer.

L'anomalie dans cette affaire réside dans le fait que ces événements du 24 octobre 2005 ne semblaient pas refléter la personnalité de Tommy Bouchard-Lebrun: un étudiant en menuiserie à Rivière-du-Loup, il n'avait pas d'antécédents judiciaires et ne semblait pas prédisposé à commettre un tel acte.

Or, si la défense d'intoxication volontaire peut être valide pour certaines accusations, elle ne l'est pas pour d'autres, comme celles qui constituent une atteinte à l'intégrité physique, dont les voies de faits graves.

Ses avocats ont fait valoir en Cour suprême qu'une psychose toxique causée par les conséquences imprévisibles d'une intoxication volontaire devrait permettre une défense d'aliénation mentale.

La défense d'aliénation mentale peut entraîner un verdict de non-responsabilité qui permet d'éviter la prison, tout en plaçant l'accusé sur une voie administrative où il doit suivre des traitements.

«Le syllogisme proposé par l'appelant se décline ainsi, a analysé la Cour: puisqu'une psychose toxique représente un effet anormal de l'intoxication, elle n'afflige nécessairement que les individus dont le psychisme présente une vulnérabilité particulière. En conséquence, cette psychose toxique doit être considérée comme un trouble mental sur le plan juridique.»

Mais les juges ne se sont pas rendus à ces arguments et ont maintenu le verdict de la Cour du Québec, qui avait infligé cinq ans de prison à M. Bouchard-Lebrun.

«L'adoption de la position de l'appelant entraînerait des conséquences difficilement acceptables pour l'intégrité du système de justice criminelle. Si chaque individu qui commet une infraction violente pendant qu'il souffre d'une psychose toxique devait, sans égard à l'origine ou à la cause de celle-ci, échapper à la responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la défense prévue à l'article 16 du Code criminel acquerrait une portée qui excéderait largement celle qu'envisageait le législateur», a écrit le juge Louis Lebel.

La Cour a rappelé que selon un témoin-expert entendu en première instance, une personne sur deux qui consomme des drogues contenant du PCP est susceptible de développer un étatpsychotique alors qu'elle est intoxiquée. «Il appert donc que la psychose toxique constitue malheureusement un phénomène plutôt fréquent qui semble s'expliquer par le niveau élevé de toxicité des drogues chimiques», a noté la Cour suprême.

La décision ne change donc pas le droit; elle vient plutôt clarifier l'application des articles 16 (défense d'aliénation mentale) et 33.1 du Code criminel (intoxication volontaire). La conclusion: les deux ne peuvent être invoquées en même temps.

M. Bouchard-Lebrun devra donc retourner purger sa peine, pour laquelle il a déjà été détenu pendant une dizaine de mois. «Il a été remis en liberté par la Cour d'appel pendant l'instance, puis pendant l'instance devant la Cour suprême», a précisé son avocate, Véronique Robert.

Il doit se rendre dans un poste de la Sûreté du Québec avec ses effets personnels dans les 24 heures,afin d'être conduit à ce qui sera son domicile pour les prochaines années. «Malgré la violence du geste, comme c'est un gentil garçon, il avait été coté «minimum» et purgeait sa peine au Centre fédéral de formation. J'espère qu'ils l'y retourneront», a déclaré Me Robert.