Un éminent avocat spécialisé en réglementation dans la construction, qui agit aussi à titre d'arbitre, a été arrêté par la Sûreté du Québec (SQ). Il est accusé d'avoir préparé des dossiers bidon avec des documents contrefaits pour permettre à ses clients d'obtenir leur carte de compétence auprès de la Commission de la construction du Québec (CCQ).

Gilles Gaul, qui a aussi été coroner et nommé juge à la cour provinciale en 1983, a été arrêté le 15 novembre, a appris La Presse, à la suite d'une enquête menée depuis janvier dernier par les policiers du Service des enquêtes sur l'intégrité financière (SEIF) de la Sûreté du Québec.

Il a été relâché sous promesse de comparaître. Il fait face à 13 chefs d'accusation de fabrication, possession et trafic de faux documents au préjudice de la CCQ, ainsi que de fraude, vol d'identité et trafic de renseignements identificateurs.

Gilles Gaul, dont le bureau est situé à Boucherville, est soupçonné d'avoir «facilité l'obtention de cartes de compétence [de la CCQ] moyennant d'importantes sommes d'argent», explique le sergent Claude Denis, de la SQ.

Ses dossiers étaient préparés avec des T4 de Revenu Canada, des relevés 1 de Revenu Québec et d'autres déclarations d'employeurs falsifiés.

Les faits se seraient produits de 2005 à 2010. La CCQ a identifié 91 dossiers présentés par M. Gaul.

L'accusé n'est pas un inconnu dans l'industrie de la construction. Il a été commissaire de la construction dans les années 90, a présidé à la même époque le comité spécial sur la juridiction des métiers lancé par la CCQ. Récemment, il a participé aux travaux du Comité ad hoc pour la défense du droit des femmes dans les métiers de la construction, qui a déposé un mémoire en janvier dernier en commission parlementaire.

Il est également défini comme arbitre dans la convention collective 2010-2013 du secteur résidentiel de la construction.

Il est donc réputé posséder une fine connaissance des rouages de cette industrie et surtout du processus d'attribution des cartes de compétence de la CCQ, précieux sésame qui permet aux ouvriers d'exercer leur métier au Québec.

«Il y a plus d'une façon d'obtenir une carte de compétence "compagnon", explique Louis-Pascal Cyr, porte-parole de la Commission. L'une d'elles consiste à démontrer, à l'aide de pièces justificatives, que l'on a accumulé un certain nombre d'heures dans un métier de la construction. Cela ouvre alors la porte à un examen de qualification. La CCQ est donc garante de l'authenticité des pièces justificatives.»

Selon nos informations, M. Gaul aurait fourni à la CCQ de faux relevés d'heures prétendument travaillées par ses clients dans la construction résidentielle, seul secteur où les employeurs ne fournissent pas de décomptes mensuels nominatifs des heures travaillées et des salaires versés. La CCQ n'avait donc aucun moyen de vérifier la validité des informations. Seules les heures de travail dans les domaines industriel, commercial, du génie civil et de la voirie, relevant de la loi R20 sur les relations de travail, font l'objet d'une déclaration mensuelle par les employeurs à la Commission que dirige Diane Lemieux.

Déjà radié pour fraude

Le pot aux roses aurait fini par être découvert parce que certains documents envoyés semblaient manifestement contrefaits.

«On a constaté des irrégularités dans certains dossiers [traités par Gilles Gaul], indique Louis-Pascal Cyr. Nous avons alors lancé une vérification et fait ressortir plusieurs dossiers déposés dans le passé par Me Gaul. Les irrégularités se sont confirmées et nous avons porté plainte à la SQ.»

En plus du volet judiciaire, la CCQ se donne jusqu'à la fin de l'année pour éplucher les 91 dossiers de Gilles Gaul. Les cas frauduleux pourront entraîner l'annulation de la carte du travailleur concerné et une amende.

Gilles Gaul n'a pas que des ennuis avec la justice. Il a aussi été «radié administrativement» du Barreau du Québec le lendemain de son arrestation pour non-paiement de cotisation, indique Martine Meilleur, porte-parole du Barreau. Il peut néanmoins exercer de nouveau s'il paie la somme due ainsi qu'une pénalité. En revanche, s'il est déclaré coupable d'infractions au Code criminel, et que ces gestes avaient un lien avec sa profession, il y aura enquête du syndic, même s'il n'est plus dans la profession, ajoute la porte-parole.

Fait à signaler, Gilles Gaul a déjà été radié de 1987 à 1994 par le comité de discipline du Barreau après avoir été reconnu coupable de détournement de fonds au préjudice de six clients pour un total d'environ 55 000$.

Gilles Gaul n'a pas voulu faire de commentaires. Il retournera en cour au début du mois de janvier.

Pour joindre notre journaliste: fdepierrebourg@lapresse.ca