La vidéo de surveillance de la police de Montréal, tombée sur mon bureau par un de ces miracles du journalisme, donne mal au coeur. On y voit un jeune homme qui marche en fixant son iPhone, rue Sainte-Catherine, près de Berri-UQAM. Il ne sait pas que ce type agité qui le suit s'apprête à lui casser la gueule.

Le type agité fait une boucle, sort du cadre. Quand il y revient, il a déjà pris son élan pour envoyer un direct à la tête du jeune homme à l'iPhone: bang.

La victime, qui n'a rien vu venir, tombe comme une poche de patates.

Le crotté se penche vers sa victime, lui arrache le téléphone des mains. Puis, il prend la fuite, sort du cadre. Entre le coup de poing et la fuite: quatre secondes.

La source qui m'a refilé cette vidéo était scandalisée du peu de réactions des témoins, pendant et après l'agression. En effet. Troublant. Tout le monde gèle. Même après l'agression, il s'écoule de longues secondes avant qu'on ne lui porte secours.

J'y ai vu autre chose: une tache sur l'image de Montréal, ville super sûre. Une violente agression en pleine rue, un samedi après-midi, pour voler un iPhone? Surprenant...

J'ai commencé à faire des recherches. La police de Montréal a signalé, en mars dernier, ce problème de vols d'appareils électroniques commis avec ou sans violence, contre des usagers du métro. Ailleurs dans le monde, à divers degrés, le phénomène existe.

J'ai entré quelques mots-clés dans Twitter, pour trouver d'autres victimes potentielles à Montréal. Message d'un groupe de musique, Elephant Stone, à ses fans: notre concert de ce soir est annulé. Motif: notre guitariste s'est fait battre quand on lui a volé son iPhone...

Le guitariste, c'est Gregory Paquet, 31 ans. Gregory, par un de ces hasards de la vie, c'est le gars qui se fait casser la gueule sur la séquence vidéo tombée par miracle sur mon bureau.

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«Je retournais travailler chez Archambault, tout près de là, après le dîner. Je n'ai jamais eu le temps de réagir», dit-il, quand je le rencontre, près de La Presse. «Le coup est arrivé. Je n'ai jamais ressenti de danger.»

Une semaine après l'agression, Gregory a encore des ecchymoses sous les yeux. Son nez a désenflé, mais il est fracturé. Au moins, les maux de tête sont moins fréquents.

«Le gars m'a regardé avec un sourire, puis il m'a arraché mon téléphone, se souvient le guitariste. Et il est parti...»

Je traîne Gregory Paquet au journal, pour lui montrer la vidéo de son agression. Il sourit quand il voit ce coup de pied qu'il envoie en vain à son agresseur, en tombant. Il l'avait oublié.

Sur la vidéo, on voit clairement que son agresseur est de mèche avec quatre autres hommes, présents sur le trottoir. Le quatuor sort de l'entrée d'un pavillon de l'UQAM quand Gregory entre dans le cadre.

Quand son agresseur arrive à la hauteur des quatre jeunes hommes, il les salue, avant de faire cette boucle qui le mènera jusqu'à la joue de Gregory. Les quatre hommes s'arrêtent. Se retournent. Ils regardent en direction de Gregory. Ils savent, clairement, que quelque chose va se passer.

Vérification faite auprès de la police de Montréal, les crottés qui font des vols d'iPhone agissent rarement seuls. Un autre groupe surveille la scène, généralement. Probablement que le quatuor serait intervenu si quelqu'un s'était interposé entre Gregory et son agresseur.

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Le guitariste d'Elephant Stone pensait que ces vols violents d'iPhone, ça ne survenait qu'ailleurs. Depuis sa mésaventure, il entend parler d'autres cas de vols à la tire touchant des iPhone. Mais malgré l'agression du 12 novembre, il refuse de sombrer dans la paranoïa sécuritaire.

«Chaque grande ville a ses problèmes. Je ne pense pas que ce soit un grave problème, ici. Ça ne change pas ma perspective sur la sécurité à Montréal. Ça m'enlève une certaine innocence, mais pas le sentiment de sécurité que je ressens ici. Je suis encore un peu craintif. Je suis plus conscient des situations. Disons que je regarde les gens avec méfiance...»

Gregory a porté plainte au poste de quartier 21, qui couvre le centre-ville. On lui a montré des photos de suspects potentiels. Il n'en a reconnu aucun. Son agresseur court toujours.

Gregory Paquet peu après son agression.