L'agression sauvage d'un avocat des Hells Angels samedi a semé une onde de choc dans le milieu des criminalistes. Une importante réunion dans le dossier Sharqc risque d'être annulée lundi et un vétéran juriste a prévenu que des clients pourraient perdre leur avocat.

Me Gilles Doré, âgé de 58 ans, a été retrouvé couché dans la rue, près de sa résidence d'Outremont, vers 7 h ce matin. Il a été passé à tabac, frappé à la tête et au haut du corps.

La police de Montréal ne confirme pas l'identité de la victime, mais affirme que sa vie n'est pas en danger.

«Son état est sérieux, mais stable», a déclaré l'agent Raphaël Bergeron.

Selon nos sources, Gilles Doré travaillait «jour et nuit» à la préparation de la défense des accusés arrêtés dans le cadre de l'opération antimotards Sharqc, en 2009. Il rendait visite plusieurs fois par semaine à ses clients en prison.

Les dossiers de cour indiquent qu'il représente les accusés Bertrand Joyal, de Sorel, Michel Langlois, de Longueuil et Michel Rivard, du Nouveau-Brunswick.

Les motifs de l'agression ne sont pas connus. Selon Radio-Canada, l'attaque serait liée au rôle de Me Doré dans la défense des motards.

Il s'agit du deuxième avocat des accusés du projet Sharqc à être agressé en moins d'un an. En décembre 2010, l'avocat Joseph La Leggia avait été battu sévèrement devant chez lui de façon similaire.

Rencontre avec la couronne

L'agression survient à la veille d'une importante réunion entre les avocats des Hells et les procureurs de la couronne. Toutes nos sources ont insisté pour dire qu'il ne s'agit pas d'une rencontre de négociation, mais plutôt de discussions exploratoires. Les motards veulent en apprendre plus sur la position de la poursuite afin de déterminer si les parties auraient intérêt à se rapprocher.

La défense des Hells demeure ultra-organisée, selon nos informations. Le mot d'ordre est toujours clair: personne ne doit plaider coupable pour l'instant. Les chapitres tiennent des réunions formelles en prison et dictent la ligne à suivre.

Des avocats songent toutefois maintenant à annuler la réunion de lundi. «J'imagine que ça va être annulé. J'ai parlé à des collègues, il n'y a pas grand monde qui a le goût de faire un pas en avant. Tout le monde se pose des questions et nous n'avons pas de réponse», a expliqué Me Claude Olivier, qui représente certains des accusés et est reconnu au palais de justice pour son franc-parler.

Me Olivier est très inquiet d'avoir vu deux de ses confrères agressés.

«Une fois, c'est un accident de parcours. Deux fois, ça devient une habitude. Je suis en train de faire des vérifications. Je suis extrêmement curieux de voir d'où ça vient. Ça va avoir des conséquences sérieuses sur l'importance qu'on va accorder à certains dossiers. Ça ne vaut peut-être pas la peine de risquer notre santé et notre famille pour certains individus», dit-il, sans vouloir pointer quiconque du doigt.

«Moi qui ai 35 ans d'expérience, je me sens pas mal insécure. J'imagine que pour les plus jeunes c'est encore pire, a-t-il ajouté. Pour que ça ne se reproduise pas, peut-être qu'il va falloir que les plus vieux prennent des décisions, ce qui peut impliquer ne plus faire certains dossiers», dit-il.

Selon lui, si les agresseurs sont identifiés, ils auront beaucoup de mal à se trouver un avocat pour les défendre.

Une attaque contre le système

Par ailleurs, une source qui connaît très bien certains acteurs du dossier Sharqc a affirmé qu'elle ne croyait pas que les Hells puissent avoir commandé une telle attaque. Cette personne croit toutefois que des gens en liberté ont pu vouloir faire plaisir aux motards ou prendre l'initiative de régler des problèmes à leur place, sans les consulter. En prison, des motards se seraient montrés surpris de l'incident de ce samedi.

La secrétaire de l'Association des avocats de la défense de Montréal, Debora De Thomasis, qui travaille elle aussi pour la défense dans le dossier Sharqc, a condamné vigoureusement cette nouvelle agression.

«Nous sommes partie intégrante du système de justice. S'attaquer à un avocat de la défense, c'est s'attaquer au système entier. C'est inacceptable, comme une attaque contre une juge ou un procureur», dit-elle.

Son collègue Pierre Panaccio, un habitué des dossiers de motards qui a connu son lot de difficultés avec un client dans le passé, appelle toutefois à la prudence. Rien ne prouve que les deux agressions soient liées au travail des avocats, dit-il. «Mais c'est triste. C'est un bon gars», a-t-il dit au sujet de Me Doré.

Me Gilles Doré s'était fait remarquer en 2002 alors qu'il avait entraîné l'avortement du premier méga-procès contre les Hells Angels en écrivant une lettre virulente dénonçant le juge Jean-Guy Boilard. Le magistrat s'était retiré de la cause après l'avoir lue.

Me Doré attend présentement un jugement de la Cour suprême du Canada quant à son comportement dans cette affaire.