Guy Turcotte aimerait pratiquer de nouveau la cardiologie. Être amoureux de nouveau. Il reçoit même en détention, à l'Institut Philippe-Pinel, des lettres d'admiratrices avec photos. Il aimerait fonder une nouvelle famille.

Ces détails troublants, révélés vendredi au premier jour de l'audience de Guy Turcotte devant le Comité d'examen des troubles mentaux à l'Institut Pinel, où le cardiologue est détenu et traité, inquiètent ses psychiatres traitants.

Près de trois ans après cette soirée fatidique du 20 février 2009, au cours de laquelle il a poignardé à 46 reprises ses enfants, Anne-Sophie et Olivier, les docteurs Pierre Rochette et Guy Desjardins disent être encore au «point zéro» dans leur compréhension de ce qui l'a poussé à commettre cet acte barbare.

Le verdict de non-responsabilité criminelle qu'a rendu un jury en juillet a eu l'effet d'un coup de massue pour la famille Gaston, qui a encore passé un moment difficile en fin d'audience, hier, quand la mère, l'oncle et la grand-mère des victimes ont choisi de s'adresser au comité.

Le cadre strict de ces audiences impose aux victimes s'adressant aux cinq commissaires de ne parler que des conséquences du crime pour elles. Rien de plus.

Isabelle Gaston n'a ainsi pu présenter une vidéo qu'elle avait enregistrée, car on y voyait des images des enfants. Elle a ensuite parlé de sa détresse de mère. De sa crainte de voir un jour son ex-conjoint vouloir se venger d'elle. Un témoignage qui a tiré des larmes à bien des membres de l'assistance.

Mais elle a surtout remis en doute le trouble mental invoqué par Turcotte.

«Il y a une incompatibilité entre mon désir de respecter le verdict et ce que je sais être la vérité. Je me sens abandonnée par le système de justice. [...] Je suis déçue par ma profession de médecin, d'avoir vu deux psychiatres [au procès] venir justifier la mort de deux enfants», a martelé Isabelle Gaston, avant d'être interrompue par le président du comité, Me Médard Saucier, qui lui a intimé l'ordre de changer de sujet.

«À qui j'aurai le droit de les dire, ces choses-là?», a rétorqué Mme Gaston.

«M'avez-vous entendue, madame?», l'a sèchement coupée Me Saucier.

Dans une salle bondée et tendue, dans laquelle se sont côtoyées les familles désormais rivales Gaston et Turcotte, l'audience faisait suite à celle qui a été ajournée le 12 août dernier. Annie, une des soeurs de Guy Turcotte, avait acheminé au comité une lettre qui affirmait que son frère avait toujours l'esprit vengeur et était toujours dangereux pour Isabelle Gaston.

Les psychiatres qui suivent Turcotte ne peuvent qu'en arriver à une conclusion similaire.

Le Dr Pierre Rochette a expliqué que Turcotte, qui cohabite avec des délinquants sexuels, a adopté depuis son arrivée à Pinel un comportement conformiste et s'est bien intégré.

Les Drs Guy Desjardins et Pierre Rochette sont catégoriques. Turcotte ne souffre actuellement d'aucun trouble mental et ne prend aucun médicament.

Mais cela ne signifie pas pour eux qu'il ne représente plus un danger pour la société. Au contraire, il représente une des plus grandes énigmes qu'ils aient connues.

Ils affirment que du trouble d'adaptation l'équivalent en psychiatrie d'une grippe, a imagé le Dr Desjardins au passage à l'acte si violent, il y a un «chaînon manquant» qui leur échappe.

«Les expertises psychiatriques soumises lors du procès ne nous éclairent pas plus sur pareil comportement. Je ne remets pas en question le verdict, mais c'est un cas plus complexe que ce qu'on est habitué de rencontrer dans des cas de crimes aussi sévères. Il y a généralement un état de psychose dans ces événements, ce qui se traite avec des médicaments. Mais ce n'est pas le cas ici. Il n'y a pas de traitement. On est encore au point zéro», a conclu le Dr Rochette, qui recommande que Guy Turcotte passe encore au moins un an à l'Institut avant que son cas ne soit réévalué.

Il croit que si Guy Turcotte faisait de nouveau face à des échecs, professionnels et amoureux, il pourrait de nouveau «capoter», comme il le dit lui-même pour expliquer les gestes irréparables qu'il a commis.

Mitraillé de questions par l'avocat de Turcotte, Me Pierre Poupart, lui suggérant qu'estimer que le tueur puisse éventuellement récidiver sur des victimes hypothétiques s'il subissait un échec équivaut à faire de la «futurologie», le Dr Desjardins a persisté et signé.

«L'imprévisibilité est très inquiétante. Si on avait une idée claire, ce serait plus facile», a-t-il affirmé.