Ce n'était pas un accident.  

La Nissan Sentra où se trouvaient une femme et trois jeunes filles de la famille Shafia a plongé dans l'écluse de Kingston à la vitesse d'un escargot, la nuit du 30 juin 2009. Elle n'est pas tombée d'elle-même. C'est la Lexus de Mohammad Shafia qui l'a poussée à l'eau.

C'est ce que Chris Prent, policier expert en reconstitution de collisions pour la Police provinciale de l'Ontario (OPP), a affirmé, mercredi, lorsqu'il a témoigné au procès de Mohammad Shafia, de sa femme Tooba et de leur fils, Hamed, accusés de quadruple meurtre.

Pour arriver à cette conclusion, M. Prent se base sur plusieurs constatations qu'il a faites en se rendant sur les lieux du drame, ainsi qu'en examinant les deux voitures et les résultats de diverses analyses. Selon ses observations, il déduit que la voiture circulait très lentement, qu'elle a parcouru un chemin compliqué pour se rendre près de l'écluse, et que, une fois arrivée, elle est restée coincée dans un petit escalier gris, du côté conducteur. Il a fallu que la Lexus la pousse pour la faire pivoter un peu et la dégager. C'est ce que révèlent les dommages à l'avant gauche de la Lexus et à l'arrière gauche de la Nissan. M. Prent croit par ailleurs qu'avant de basculer dans l'eau, la Nissan est restée coincée sur le rebord de ciment de l'écluse, les deux roues motrices dans le vide, alors que le centre de gravité n'avait pas dépassé le rebord. La voiture n'avançait plus et ne tombait pas. La Lexus lui a donné la poussée nécessaire pour la faire basculer, selon M. Prent. Les grandes marques sous la carcasse de la Nissan appuient sa théorie, dit-il.

D'autres indices révélateurs

L'expert considère par ailleurs que l'intérieur de la Nissan est très révélateur. Les deux sièges avant étaient baissés à un angle d'environ 45 degrés, ce qui rend la conduite automobile pratiquement impossible. M. Prent, qui mesure 5 pi 9, s'est assis à la place du conducteur de la Nissan, et il n'arrivait que très difficilement à atteindre le volant. Rappelons que c'est Geeti, 13 ans, qui flottait au-dessus du siège du conducteur. Mais ce n'est pas la seule bizarrerie.

La transmission automatique était placée en première, une vitesse très basse qui est utilisée habituellement pour gravir les montagnes ayant une forte pente. Normalement, le levier de vitesses aurait dû aurait être à «drive», selon M. Prent. Le véhicule était équipé de coussins gonflables à l'avant, mais ceux-ci ne se sont pas déployés, signe qu'il n'y a pas eu de décélération assez rapide pour les déclencher. La clé était dans le contact, mais n'était pas à «on». Le chauffage était en position dégivrage pour le pare-brise, la chaleur était réglée à «moyen» et les phares étaient éteints, alors que la chute se serait produite en pleine nuit. Les archives météo indiquent que cette nuit-là, c'était nuageux et brumeux et il a parfois plu un peu. Les roues étaient complètement tournées vers la gauche, comme si la voiture avait dû tourner considérablement à gauche pour se jeter dans l'espace très restreint où elle est tombée. Les lettres S et E de l'inscription Sentra, à l'arrière de la Nissan, étaient manquantes. Elles ont été trouvées près du bord de l'écluse, dans l'herbe.

M. Prent a aussi pris en considération le fait que des pièces du phare gauche de la Lexus ont été trouvées sur les lieux, à l'écluse. D'autres ont aussi été récupérées dans un stationnement de Montréal, où Hamed Shafia a foncé sur un parapet de métal, peu avant 8h le 30 juin. Le jeune homme s'est empressé d'appeler le 911 pour signaler la collision. Mais ce n'était pas un accident là encore, selon M. Prent, car la Lexus a foncé deux fois sur le parapet.

Les jurés vont visiter les lieux du drame

Le contre-interrogatoire de l'expert aura lieu aujourd'hui, après que le jury aura visité les lieux du drame. Chose rare, les 12 jurés, les avocats, le juge, de même que deux des accusés, seront transportés sur le lieu historique des écluses, afin de voir la configuration des lieux. Tooba, la mère accusée, ne veut pas être du voyage. Lorsque la vidéo sous-marine montrant la voiture engloutie a été montrée au jury, elle a aussi demandé et obtenu de ne pas assister à la projection.

Rappelons que Mohammad Shafia, 58 ans, sa femme Tooba, 41 ans, et leur fils Hamed, 20 ans, sont accusés des meurtres prémédités de Rona Amir Mohammad, 53 ans, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, et Geeti, 13 ans. La première victime était la première femme de M. Shafia, tandis que les trois autres sont trois des sept enfants qu'il a eus avec Tooba. Les quatre malheureuses ont été retrouvées le matin du 30 juin 2009, noyées dans une Nissan Sentra noire au fond de l'écluse de Kingston Mills. La famille de 10, originaire de l'Afghanistan, mais qui demeurait à Montréal depuis deux ans, revenait d'un voyage à Niagara Falls lors du drame. La Couronne allègue qu'il s'agit de meurtres commis au «nom de l'honneur».

Photo fournie par la cour

La transmission automatique de la Nissan était placée en première, une vitesse très basse qui est utilisée habituellement pour gravir les montages à pic.