L'ex-capitaine du Canadien de Montréal. Un sac contenant 135 000$ qui disparaît. Des créanciers autoproclamés qui se font menaçants. Une agence de sécurité, BCIA, qui allait faire les manchettes quelques mois plus tard. Tous ces éléments s'entremêlent depuis 2009 dans un feuilleton sur lequel La Presse lève ici le voile.

Septembre 2009: un homme se présente dans un bureau de change de Côte-des-Neiges. Il demande une importante somme d'argent comptant au nom de Saku Koivu, l'ex-capitaine du Canadien qui vient de terminer sa dernière saison à Montréal. La transaction qui suit déclenche une réaction en chaîne qui a entraînera deux enquêtes policières et des accusations de fraude, en plus de bouleverser la vie de dizaines de petits épargnants québécois.

Un premier volet de l'affaire s'est conclu au palais de justice, mercredi, lorsque David Nowak, ancien propriétaire de bureau de change, a reçu sa peine pour fraude. Nowak avait plaidé coupable en juin et il était passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 14 ans de prison.

Mais la juge Louise Villemure lui a infligé une peine clémente de 12 mois à purger dans la communauté, en raison des circonstances très particulières de son crime.

«Il ne l'a pas fait pour son profit personnel. Il avait de la pression d'individus, et la seule façon qu'il a trouvée pour rembourser ces gens, c'était de voler», a expliqué son avocat, Me Frédérick Carle.

Besoin de liquidités

Tout commence en septembre 2009 pour David Nowak.

À l'époque, il dirige Go-Remit, centre d'encaissement de chèques et de transferts de fonds dans Côte-des-Neiges.

Se pointe alors à son commerce un homme qui se présente comme un mandataire de Saku Koivu, le célèbre attaquant qui vient tout juste de signer un contrat avec les Ducks d'Anaheim, après 13 saisons à Montréal.

L'homme a des documents et des copies de pièces d'identité qui semblent démontrer avec certitude qu'il agit bien pour le compte du hockeyeur. Il veut faire changer en argent un chèque du ministère des Finances du Québec, fait à l'ordre de Saku Koivu, pour une somme de 140 899,04 $. Le chèque, qui a été déposé au tribunal et que La Presse a obtenu, est du genre de ceux que Québec envoie pour les remboursements d'impôt.

Par la voix de son agent, Don Baizley, Saku Koivu a affirmé à La Presse que son chèque de remboursement d'impôt avait été volé et encaissé par quelqu'un qui aurait contrefait sa signature à l'époque. Il ajoute que la police de Montréal a pris contact avec lui à ce sujet et qu'il en a discuté avec les responsables de la sécurité de la Ligue nationale de hockey. « Une fois que les autorités ont été convaincues de l'imitation de la signature, un autre chèque a été remis à Saku. C'était toute son implication dans cette affaire », a déclaré M. Baizley dans un bref courriel.

Mais David Nowak, lui, a toujours été convaincu qu'il faisait affaire avec un représentant du hockeyeur, notamment en raison des pièces d'identité qui lui ont été présentées.

Le 11 septembre 2009, réalisant qu'il n'a pas les fonds nécessaires pour encaisser le chèque lui-même, il le confie au convoyeur de fonds Centurion, filiale de l'agence de sécurité BCIA.

Rappelons que la controversée agence a fait faillite en 2010 après avoir reçu 4 millions en fonds publics. La Presse a révélé qu'elle transportait d'importantes sommes pour des bureaux de change liés au blanchiment d'argent et qu'elle s'était vu confier sans contrat la surveillance des installations du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Des documents déposés en cour montrent que Centurion devait encaisser le chèque en argent liquide. En échange d'une commission de 5588$, le convoyeur devait rapporter 135 000 $ en billets de 100 $ et de 20 $ au bureau de change, afin que Nowak puisse les remettre au soi-disant mandataire de Saku Koivu.

Or, l'argent tarde à revenir à M. Nowak. La date de livraison, prévue initialement pour le 18 septembre, est repoussée trois fois. Le 24 septembre, David Nowak écrit donc une lettre à Luigi Coretti, propriétaire de BCIA.

«Cher M. Luigi, veuillez noter que Go-Remit va porter plainte au CANAFE [Centre d'analyse des opérations et déclarations financières] au sujet du retard dans le traitement et la livraison des fonds confiés à votre compagnie», écrit-il.

Il s'agit d'une menace claire. Le CANAFE est l'organisme fédéral chargé d'enquêter sur les transactions douteuses.

David Nowak n'aura pas à mettre sa menace à exécution. Quatre jours plus tard, le 28 septembre, le camion numéro 8-35 de Centurion lui livre les 135 000 $ en espèces, selon le reçu de livraison.

Selon son récit, M. Nowak prend alors l'argent et l'apporte à sa résidence. Le lendemain matin, il repart en voiture vers son bureau de change, avec le sac d'argent caché sous son siège. Il s'arrête quelques minutes à un commerce. Un malfaiteur en profite pour s'introduire dans sa voiture et vole le magot.

La police a enquêté sur ce vol et n'a rien trouvé à reprocher à M. Nowak en ce qui a trait à la disparition du sac. Son récit était crédible. Il a bel et bien été victime d'un vol. Le ou les voleurs n'ont pas été retrouvés.

Nowak se retrouve ainsi incapable de remettre son dû à l'homme qui se présentait comme le mandataire de Saku Koivu.

Or, selon la version de Nowak, qui n'est pas contestée par la Couronne, d'autres personnes sont alors entrées en jeu et ont expliqué que les fonds du chèque leur étaient destinés.

Trois sources bien au fait du dossier ont confirmé ces faits à La Presse.

«Des gens lui ont fait comprendre qu'il leur devait maintenant l'argent à eux», explique l'une d'elles.

Ces créanciers autoproclamés n'ont pas été nommés en cour, mais ils n'étaient visiblement pas des enfants de choeur. «C'est relié à une autre enquête policière, alors je ne peux pas en dire plus», explique la procureure de la Couronne, Nathalie Fafard.

Les mystérieux individus se font alors menaçants avec M. Nowak. Ils veulent l'argent et le tiennent responsable de sa perte.

«Il a été menacé pour le pousser à retourner l'argent qu'il avait reçu. Il a reçu des menaces physiques, ce fut confirmé», a témoigné l'avocat de M. Nowak en cour.

Effrayé, le propriétaire du bureau de change cherche alors un moyen de rembourser l'argent perdu.

Sous pression, il dit avoir décidé de détourner l'argent de petits clients de son bureau de change pour rembourser les auteurs des menaces.

M. Nowak s'approprie donc 41 000$ que lui avaient confiés 31 petits clients. Plusieurs d'entre eux sont des immigrants philippins qui voulaient expédier de l'argent à leurs familles, victimes des typhons qui ont ravagé leur pays natal cette année-là.

«Les victimes sont très bouleversées par cette situation. Ce sont des gens qui souhaitaient envoyer l'argent à leurs proches. Ce ne sont pas de gros montants, mais pour ces gens, c'est beaucoup», a expliqué la procureure Nathalie Fafard.

Ce sont ces petits épargnants qui, en portant plainte à la police, ont mené au dévoilement de l'affaire. Grâce à eux, le service des enquêtes spécialisées du SPVM s'est intéressé aux gens qui recouraient à la menace pour mettre la main sur l'argent. Aucune arrestation n'a eu lieu pour le moment. Les enquêteurs croient qu'ils seraient liés au crime organisé.

Les porte-parole du SPVM n'avaient rien à ajouter dans le cadre de notre article.

Quant à M. Nowak, il travaille maintenant comme livreur pour une firme de transport. Il pourra continuer à travailler pendant sa peine de 12 mois dans la communauté et ses 2 ans de probation. Selon son avocat, il regrette amèrement tout le tort qu'il a pu causer.

«C'était une série de mauvais jugements, ce n'est pas comme s'il avait acheté une Mercedes», a résumé Me Frédérick Carle au tribunal.

Les plaidoiries de l'avocat sur la bonne volonté de son client ont d'ailleurs permis à M. Novak de plaider coupable à une seule accusation de fraude de plus de 5000 $, plutôt qu'à la trentaine d'accusations qui pesaient sur lui avant que ses déboires ne soient connus.