Historique, extraordinaire: l'avocat Alain Arsenault ne manque pas d'adjectifs pour qualifier l'entente conclue entre la congrégation des Frères de Sainte-Croix et leurs victimes. La congrégation s'engage à verser pas moins de 18 millions $  aux anciens élèves du Collège Notre-Dame de Montréal, au Collège Saint-Césaire et à l'école Notre-Dame de Pohénégamook, sans délai de prescription. Un scénario inédit au Québec.

«C'est la première fois qu'une congrégation arrive à une entente hors cour pour reconnaître des abus qui se sont produits il y a longtemps», explique Me Arsenault, avocat des victimes. Selon l'entente, la congrégation adressera également une lettre d'excuse à chaque victime, dans laquelle l'institution reconnaît explicitement que de tels sévices «n'auraient jamais dû survenir». «Cette lettre est au moins aussi significative que de recevoir une compensation», dit Me Arsenault.

Le règlement, qui doit encore être entériné par la Cour supérieure, prévoit une indemnisation variant de 10 000$ à 250 000$, suivant les sévices et les préjudices subis: un montant supérieur à ce qui est accordé par les tribunaux canadiens aux victimes d'agressions sexuelles. Enfin, les parents des victimes pourront eux aussi recevoir un dédommagement.

Un signal pour les autres congrégations

Cette entente à l'amiable conclut une bataille juridique entamée il y a deux ans et demi par René Cornellier. En 2008, il découvre que son fils, René Cornellier Junior, a été agressé à répétition alors qu'il était pensionnaire au Collège Notre-Dame, entre 1972 et 1976. Des agressions pour lesquelles il a demandé à plusieurs reprises des excuses. En vain: il meurt en 1994 avant d'en avoir obtenu. Après la publication d'une enquête de The Gazette en 2008, M. Cornellier découvre que d'autres personnes ont subi des sévices sexuels et décide alors d'intenter un recours collectif.

«C'est la fin d'un long voyage. On ne croyait pas en arriver là. On voulait des excuses. Mais on ne croyait pas qu'autant de personnes se joindraient à nous», dit Robert Cornellier, le frère de René Jr. Le recours a été amendé deux fois, pour inclure les élèves du Collège de Saint-Césaire, en Montérégie, entre 1950 et 1991 et ceux de l'école Notre-Dame, à Pohénégamook, dans le Bas-du-Fleuve, entre 1959 et 1964. Près de 85 victimes se sont déjà manifestées auprès de Me Arsenault.

Une bourse au nom de René Cornellier Jr sera aussi versée chaque année, pendant 20 ans, selon l'entente. Cette entente ne pourra faire jurisprudence, mais elle a une forte valeur morale auprès des autres communautés religieuses qui font elles aussi face à des recours collectifs, croit l'avocat.

Un livre qui ne se fermera jamais

«C'est une grosse page qui se tourne, mais le livre ne se refermera qu'à ma mort», dit l'une des victimes des Frères Sainte-Croix.

Sébastien Richard, abusé par le frère Claude Hurtubise, doute de la sincérité des excuses de la congrégation de Sainte-Croix. Il a porté plainte contre son agresseur en 2006. Mais celui-ci a été acquitté, faute de preuves et il vit toujours dans la maison de retraite des religieux. «N'eût été la mobilisation de René Cornellier, je doute beaucoup qu'on en soit là», dit-il.

Hier, la congrégation de Sainte-Croix a adressé par communiqué «toute sa compassion» aux victimes. Mais la congrégation n'a pas fait connaître ses intentions quant aux membres visés par des poursuites criminelles. Selon Me Arsenault, plusieurs poursuites contre des religieux sont en cour dans l'ensemble du Québec.