Pour la première fois depuis la mort de Jean-Pierre Lizotte, survenue il y a près de 12 ans à Montréal, un tribunal a conclu que l'agent Giovanni Stante avait utilisé une «force excessive» pour maîtriser le sans-abri.

Le 5 septembre 1999, les employés du Shed Café, restaurant du boulevard Saint-Laurent, s'en étaient pris à l'homme qui, intoxiqué, se masturbait devant les clients.

Les agents Giovanni Stante et Sylvain Fouquette sont intervenus, mais Lizotte a voulu retourner vers la terrasse. Interpellé par les policiers, il s'est agité et leur a donné des coups de pied. L'agent Stante a répliqué par des coups de poing. Au terme de l'intervention, Lizotte est resté paralysé. Il est mort d'une pneumonie six semaines plus tard.

L'agent Stante et le portier du restaurant, Steve Deschâtelets, ont été accusés d'homicide involontaire, de voies de fait graves et d'avoir causé des lésions corporelles. Le policier a été acquitté en août 2002.

Cela n'a pas empêché le Comité de déontologie policière, en 2008, de blâmer les agents pour avoir fait preuve de négligence et d'insouciance dans leur intervention auprès du sans-abri. Les policiers ont aussi été blâmés pour ne pas avoir averti l'infirmière du fait que Lizotte avait été frappé au visage par Stante. Le Comité conclut toutefois que la force utilisée était raisonnable.

À la suite de cette décision, le Service de police de la Ville de Montréal impose alors une suspension de 25 jours aux policiers. Ces derniers en ont appelé à la Cour du Québec, qui a cassé la décision du Comité de déontologie policière en mars 2010.

L'agent Stante a alors réintégré son poste, et la Ville lui a versé 152 000$ en remboursement du salaire dont il avait été privé durant sa suspension. Le Comité de déontologie policière n'en est pas resté là: il a demandé une révision judiciaire en Cour supérieure.

Dans sa récente décision, passée inaperçue, la Cour supérieure a ainsi rétabli la décision du Comité en concluant que les agents Stante et Fouquette avaient bel et bien été négligents dans l'exercice de leurs fonctions.

Le juge Claude Larouche va même plus loin que le Comité puisqu'il estime que le policier a usé d'une «force excessive». «Il nous paraît impensable que, pour un policier en fonction (l'agent Stante), qui assène des coups de poing au visage d'un individu pour le contrôler, que de tels gestes ne résultent pas de l'utilisation d'une force excessive», écrit le magistrat dans sa décision de 25 pages rendue le 28 juillet.

«Ajoutons, au surplus, qu'il s'imposait que l'infirmière au triage à l'hôpital soit informée des coups de poing au visage de Lizotte, ce qui n'a pas été fait, poursuit le juge Larouche. Il s'agit là d'une carence inacceptable et déraisonnable de la part d'agents de police possédant une certaine expérience comme ceux impliqués dans cette affaire.»

«Carences» du jugement de la Cour du Québec

Le juge de la Cour supérieure souligne plusieurs «carences» du jugement de son confrère de la Cour du Québec Jean-F. Keable, un texte de 111 pages «surstructuré et difficile à suivre» qui arrive à un verdict «déraisonnable», affirme le juge Larouche.

Le juge Larouche reproche, ni plus ni moins, au juge Keable d'avoir voulu faire la leçon au président du Comité de déontologie policière, Me Gilles Mignault, alors qu'il n'avait pas l'expertise nécessaire en matière de déontologie policière.

«C'est lui (Me Mignault) qui possède l'expertise, ce qui ne s'applique pas à un juge de la Cour du Québec, pas plus qu'à un juge de la Cour supérieure. Il faut signaler que cette expertise commande, de la part des autres décideurs qui ne sont pas spécialisés, la déférence», écrit le juge Larouche.

Cela ne met pas un terme à ce feuilleton judiciaire. La Cour supérieure a ordonné que le dossier soit renvoyé à la Cour du Québec sur la question des sanctions imposées aux deux agents.

De son côté, la Ville de Montréal refuse de commenter la décision tant que le processus judiciaire ne sera pas terminé.