Les policiers et les procureurs affectés à l'opération SharQc n'ont pas de boule de cristal. N'empêche, dès 2007, ils avaient prédit que le système judiciaire risquait d'être incapable d'absorber l'impact d'une enquête d'aussi grande envergure.

C'est ce qui ressort d'une série de documents rendus publics récemment à la demande des médias au terme de la «requête en arrêt de procédure» qui s'est soldée par la libération de 31 motards.

Parmi les «menaces et faiblesses» énumérées dans ces documents, on parle de la «capacité du système judiciaire à gérer l'impact» de l'enquête.

L'équipe de la Stratégie provinciale opérationnelle (qui deviendra l'opération SharQc) avait d'abord prévu la rafle policière pour le printemps 2008, apprend-on également. L'automne suivant devait servir à divulguer la preuve. Les superprocès devaient commencer à l'hiver 2009, selon l'échéancier établi en 2007.

Or, on sait aujourd'hui que la rafle qui a permis l'arrestation de 155 membres ou sympathisants des Hells Angels a eu lieu en avril 2009, donc un an plus tard que prévu. Et les procès n'ont toujours pas débuté.

Au grand dam de la poursuite, en mai dernier, le juge James Brunton a plutôt libéré 31 accusés au motif que le manque de juges et de salles d'audience sécurisées compromettait leur droit d'être jugés dans un délai raisonnable. Cette décision a secoué le public, en plus de susciter des réactions de désapprobation des milieux politiques. La poursuite l'a d'ailleurs portée en appel.

Menaces et faiblesses

Le report de l'opération policière s'expliquerait notamment par le refus de Québec, à l'époque, d'affecter davantage de procureurs à l'affaire. L'ex-procureur en chef du Bureau de lutte au crime organisé (BLACO), Claude Chartrand, en avait fait la demande en 2007, apprend-on.

«La solution de cette problématique devient un incontournable majeur à la réalisation complète et totale de la SPO (Stratégie provinciale opérationnelle, devenue SharQc). Tout report d'échéancier, en ce qui a trait à cette problématique, vient impacter (sic) directement l'échéancier de la SPO, le ciblage de nos enquêtes et par le fait même les coûts financiers de nos projets», écrit la SQ dans un document daté de novembre 2007.

«Nous évoluons dans un environnement de «droit nouveau» et l'apport des procureurs est essentiel en crime substantif et en produits de la criminalité», peut-on lire.

Rappelons que Me Chartrand a claqué la porte du BLACO l'hiver dernier, lors de la grève des procureurs, parce qu'il estimait que Québec ne lui donnait pas les moyens de lutter contre le crime organisé.

Parmi les autres «menaces et faiblesses» anticipées par les policiers et les procureurs, on évoquait la capacité des services correctionnels à gérer autant de détenus arrêtés en même temps et la «possibilité de mettre fin abruptement à l'enquête pour préserver l'intégrité de la personne».

Infiltration dans l'économie légale

Les avantages de l'opération ont aussi été évalués, parmi lesquels on note «la déstabilisation complète de l'organisation», la «sympathie de la population» et «une réponse claire en regard de l'intrusion de l'économie légale par le crime organisé».

La «criminalité financière organisée» faisait partie des cibles de la SPO dès sa création, en 2007. En plus d'élucider des meurtres commis lors de la guerre des motards, la SPO visait à «freiner l'infiltration des Hells Angels dans l'économie légale», peut-on lire dans un document.

Les enquêteurs ont cherché à connaître «les actifs, investissements et comptes bancaires appartenant aux membres et à leurs prête-noms» ainsi que «les routes et les caches d'argent», explique ce document.

Au fil de l'enquête, la théorie de la cause est demeurée la même, si l'on se fie aux documents rendus publics: «depuis près de 20 ans, tous les Hells Angels du Québec se livrent au trafic de drogues diverses et ont commis des actes criminels pouvant aller jusqu'au meurtre dans le but d'augmenter leurs territoires de vente et par conséquent leurs profits».