Un jeune Québécois soupçonné d'avoir commis un meurtre aux États-Unis lorsqu'il était adolescent pourrait bien ne jamais être jugé pour ce crime. Son extradition, à laquelle le Canada avait consenti, vient d'être annulée par la Cour d'appel du Québec.

Renvoyer aux États-Unis Francis Doyle Fowler - aujourd'hui âgé de 20 ans- pour qu'il y soit jugé serait «inacceptable» et «déraisonnable», puisque, s'il est condamné, il risque de passer une grande partie de sa vie en prison sans possibilité de libération conditionnelle, estime le plus haut tribunal de la province.

S'il avait été condamné pour le même crime au Québec, il aurait reçu une peine maximale de sept ans à purger dans un centre jeunesse. Même s'il avait reçu une peine d'adulte, il aurait été admissible à une libération conditionnelle après sept ans de prison.

À coups de chaîne de vélo

À 16 ans, Fowler aurait aidé un ami à assassiner son oncle à Orlando, en Floride.

Le 21 avril 2007, Fowler était chez son ami Jerry Henry avec un autre copain, James E. Hollriegel. L'oncle de Henry, Morgan Willis, 37 ans, s'y trouvait aussi.

À un moment donné, l'oncle a eu une discussion animée au téléphone avec sa soeur, la mère de Henry. Il l'a insultée. Henry s'en est offusqué et s'est querellé avec son oncle.

Peu après, les trois jeunes ont violemment battu l'oncle avec une chaîne de bicyclette attachée à un bâton, selon la preuve de la poursuite, résumée dans la décision de la Cour d'appel. Fowler est soupçonné de l'avoir ensuite poignardé à plusieurs reprises aux reins, pour l'achever, alors que Hollriegel lui aurait tranché la gorge.

Fowler et Hollriegel auraient enterré le cadavre, puis tenté de faire disparaître le camion de la victime. Le lendemain, les trois garçons se seraient vantés du meurtre à un ami, à qui ils auraient montré l'arme du crime et l'endroit où la victime avait été enterrée.

Cet ami les a dénoncés cinq mois plus tard. Les policiers ont déterré le cadavre derrière la maison des Henry. Hollriegel a été arrêté et a plaidé coupable à une accusation de meurtre au second degré.

Fowler, qui possède la double citoyenneté canadienne et américaine, a déménagé chez sa mère, au Québec, avant que les autorités américaines ne puissent l'arrêter.

En 2009, les États-Unis ont demandé son extradition pour qu'il soit jugé en Floride. Le Canada a accepté.

Or, le mois dernier, dans une décision passée inaperçue, la Cour d'appel du Québec a ordonné au ministre de la Justice du Canada de revoir sa décision.

Trois juges ont donné en partie raison au jeune homme, qui soutenait que le Canada devait refuser son extradition si elle s'avérait «injuste ou tyrannique».

Peine «choquante»

Aux yeux de l'avocate de Fowler, Me Véronique Courtecuisse, le droit des États-Unis est incompatible avec les principes fondamentaux de la loi canadienne sur le système de justice pénale pour les adolescents. La peine qui pourrait lui être imposée «serait plus que choquante» et contraire aux principes de nos lois, affirme-t-elle.

L'un de ses présumés complices, Henry, âgé de 19 ans à l'époque, a d'ailleurs été condamné à 40 ans de prison.

De son côté, la représentante du ministre de la Justice estime que Fowler n'était pas un véritable résidant canadien au moment des événements. Il «s'est simplement retrouvé au Canada après avoir fui les États-Unis pour ne pas avoir à répondre du crime», a plaidé Me Constantina Antonopoulos.

Fowler est aujourd'hui en liberté provisoire. Il vit chez sa mère dans la grande région de Montréal. «Il ne représente pas un danger pour la société», souligne Me Courtecuisse.

Au cours des audiences devant le tribunal, le ministre a concédé que l'extradition d'un adolescent visé par une accusation de meurtre au premier degré est incompatible avec les principes reconnus par la loi canadienne.

Sauf que les États-Unis demandent son extradition pour une accusation moins grave de meurtre au second degré. Il serait alors admissible à la libération conditionnelle.

Faux, a rétorqué l'avocate de Fowler. La Floride a aboli cette possibilité.

Le ministre a été incapable de prouver ses dires, selon la Cour d'appel.

«C'est là que le bât blesse. Aucune preuve ne permet au ministre de savoir quand le demandeur pourrait être admissible à la libération conditionnelle, si tant est qu'il pourrait y être admissible», écrit le juge François Doyon dans sa décision, à laquelle souscrivent les juges André Rochon et Nicole Duval Hesler.

«Pourrait-on vraiment affirmer que l'extradition ne serait ni injuste ni tyrannique si, par exemple, le délinquant mineur n'y devenait admissible qu'après 25, 30 ou 40 ans?», demande le juge Doyon.

Malaise diplomatique

La Cour d'appel se dit «sensible» au fait qu'il est impossible de poursuivre Fowler au Canada pour le crime qu'on lui reproche en Floride.

«Il est vrai que cela met tout le monde mal à l'aise, mais la loi est ainsi faite», dit pour sa part Me Courtecuisse.

L'avocate du jeune homme rappelle toutefois que son client bénéficie de la présomption d'innocence. «On marche sur des oeufs. C'est diplomatique. Le Canada veut conserver une bonne relation avec ses voisins du Sud, sauf qu'on ne doit pas extrader une personne à la va-vite au détriment de la justice», croit l'avocate de la défense.

Me Courtecuisse reproche aux autorités canadiennes de se «bander les yeux» en accédant à la demande d'extradition sans remettre en question le résumé des faits transmis par la justice américaine. Son client nie d'ailleurs cette version de l'événement.

La Cour d'appel du Québec demande au ministre fédéral de la Justice de s'assurer que la peine d'emprisonnement qui pourrait être infligée au jeune homme aux États-Unis soit véritablement assortie de l'admissibilité à la libération conditionnelle après un délai ou, le cas échéant, qu'il obtienne les assurances nécessaires pour pallier l'absence d'admissibilité à la libération conditionnelle, tout en protégeant les droits du jeune accusé.

Le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, refuse de commenter les cas d'extradition, a dit à La Presse son attachée de presse, Pamela Stephens. Il doit rendre sa décision d'ici à l'automne.

Entre-temps, Francis Doyle Fowler poursuit sa vie auprès des siens au Québec pendant que ses présumés complices croupissent dans une prison américaine pour adultes.