Le juge Jean-Guy Boilard, de la Cour Supérieure, a rendu une décision favorable à Tony Accurso ce matin: Revenu Québec ne peut pas obliger Revenu Canada à lui remettre les documents saisis lors de perquisitions dans les locaux de ses compagnies Constructions Louisbourg ltée et Simard-Beaudry Construction inc.

Le 7 décembre dernier, ces deux entreprises plaidaient coupable à des accusations de fraude fiscale portées à la suite d'une longue enquête de Revenu Canada. Elles acceptaient de rembourser les sommes dues et de payer des pénalités, pour un total de 8 millions de dollars.

Une entente entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux permet l'échange de renseignements fiscaux. Mais rien n'est prévu lorsque ces renseignements ont été obtenus en vertu des dispositions du Code criminel sur les mandats de perquisition et les ordonnances de communication. Au contraire, le Code prévoit que des documents ou les objets saisis lors d'une perquisition doivent être remis à leur propriétaire, une fois l'enquête terminée.

En février, Revenu Québec s'est donc adressé à la Cour du Québec et a fait valoir que la Loi provinciale sur l'impôt lui permettait de réclamer ces documents auprès de Revenu Canada. Le juge Robert Marchi a accepté la demande. Les avocats de M. Accurso ont contesté cette décision à la Cour Supérieure.

La semaine dernière, un procureur de Revenu Québec a longuement plaidé sa cause, mais il a été incapable de convaincre le juge Jean-Guy Boilard.

«La compétence du législateur québécois est limitée au territoire de la province ainsi qu'aux citoyens qui y résident, a déclaré le juge en lisant son jugement, jeudi. D'ailleurs, le procureur de Revenu Québec fut incapable de me fournir un seul cas où pareille démarche fut entreprise dans le passé. Il n'y a pas de précédents à sa connaissance.

«Revenu Canada n'est pas un résident de la province de Québec assujetti à ses lois. C'est l'une des branches administratives d'un gouvernement qui exerce pleinement les droits et les prérogatives que lui confère la constitution. Je vois mal une province s'immiscer dans cet exercice.»

Le juge Boilard a insisté sur le fait que Revenu Québec était tout simplement incapable d'obliger Revenu Canada à faire quoi que ce soit.

«Si Revenu Canada refuse d'obtempérer à l'ordonnance de monsieur le juge Marchi, y aura-t-il des poursuites pénales entreprises par Revenu Québec? Si oui, contre qui? S'il y a condamnation, qui paiera l'amende minimum de 800$? Si un emprisonnement était décrété, qui se présentera au geôlier provincial? L'impasse où se retrouverait Revenu Québec devant le refus de Revenu Canada d'obtempérer à l'ordonnance de monsieur le juge Marchi est d'un ridicule caricatural.»

Toute tentative de la part de Revenu Québec de contourner ou d'ignorer le Code criminel à l'aide d'une loi provinciale «constitue un excès de juridiction», ajoute M. Boilard. Le juge a terminé sa lecture avec ces mots: «J'ajouterais que des impératifs politiques ne peuvent obscurcir la règle de droit et encore moins d'y être substitués».

Sans jamais être clairement énoncés, il semble bien, en effet, que des impératifs politiques ont pu inspirer la démarche du gouvernement québécois dans cette affaire. Québec refuse de déclencher une commission d'enquête sur l'industrie de la construction, en soutenant que ses lois, ses règlements et ses organismes de surveillance suffisent à assainir l'industrie.

Une loi, adoptée en 2009, a donné plus de pouvoirs à la Régie du bâtiment du Québec pour révoquer ou suspendre les permis d'entreprises qui ont commis une fraude fiscale ou dont les propriétaires ont commis un crime. Mais encore faut-il avoir les preuves de cette fraude fiscale, et démontrer qu'elles sont liées à des activités dans la construction.

Sans cela, la Régie du bâtiment aura bien du mal à révoquer les licences de construction détenues par les nombreuses entreprises de M. Accurso. L'audience de Constructions Louisbourg ltée a commencé dans le plus grand secret à la Régie du bâtiment la semaine dernière. Quelle que soit son issue, cette cause aura un impact mineur.

La grande majorité des entreprises de M. Accurso fonctionnent sous une autre licence que Constructions Louisbourg ltée ou Simard-Beaudry Construction inc. À moins que Revenu Québec ne réussisse à condamner personnellement, M. Accurso de fraude fiscale, ces autres entreprises pourront continuer de fonctionner et d'obtenir d'importants contrats publics. Jeudi après-midi, les avocats de Revenu Québec ont estimé que le juge Boilard «a erré en droit» qu'ils allaient porter la décision en appel. «Revenu Québec est toujours confiant d'obtenir ces documents pour les fins de son enquête. Rappelons que les documents voulus sont toujours entre les mains de l'Agence du revenu du Canada, de sorte qu'il n'y a pas lieu de craindre leur destruction.»